Trump fait son show, pas de la politique (Anne Deysine)
Anne Deysine, spécialiste du droit américain, analyse le «Muslim Ban» de Trump dans une interview à 20 minutes.
Juriste, professeure à l’université de Nanterre, auteure de la Cour suprême des Etats-Unis (éd. Dalloz), Anne Deysine estime que le décret Trump ne tiendra pas longtemps juridiquement. En fait sur cette question, come sur les autres, Trump faiat surtout son show. Pour lui c’est l’impact médiatique qui compte. Il sera toujours temps de faire évoluer sa position en fonctions des contraintes. Il pourra même expliquer que ce changement lui a été imposé par l’establishment. La posture de Trump c’est celle qu’il connaît le mieux : « la télé-réalité ». Compte tenu des très vives réactions des grands patrons américains hostiles à ce décret il sera forcément contraint de changer son orientation, orientation au demeurant illégale.
Interview :
Les Etats-Unis ont-ils une tradition particulière sur le droit de l’immigration ?
Tout le monde le sait : les Etats-Unis sont une terre d’accueil. Ils se sont construits sur des vagues successives d’immigration. Ce décret constitue une vraie rupture. Même Dick Cheney, le vice-président de George W. Bush, qui n’est pas connu pour être un gauchiste, a déclaré qu’il «allait à l’encontre de tout ce que l’Amérique défend et ce en quoi elle croit». En réalité, il y a eu des hauts et des bas : à plusieurs reprises dans l’histoire américaine, il y a eu des périodes anti-immigrants. Le Congrès a voté des lois pour limiter l’entrée de certaines populations, souvent par voie de quotas. C’est le cas du Chinese Exclusion Act, en 1882, par exemple. Mais cette fois, c’est le président qui décide seul.
Pourquoi Trump agit-il par décret ?
La Constitution confère au Congrès le soin de légiférer en matière d’immigration. Mais Trump recherche l’effet de choc. Trump a voulu montrer à sa base qu’il respectait ses promesses électorales.
Ce décret est-il vulnérable, en droit ?
Il est une violation de la Constitution. Il a peu de chances de survivre à l’examen au fond. Le cinquième amendement prévoit une garantie, le due process, qui établit que chacun a le droit à une «procédure juste». Les individus qui ont des papiers en règle, des visas, ne peuvent pas voir leurs droits soudainement bafoués. Ensuite, il y a l’angle des discriminations. L’idée de sélectionner certains pays plutôt que d’autres, en soi, peut être considérée comme discriminatoire. Par ailleurs, le décret prévoit que le «ministre» de la Sécurité intérieure choisisse, au cas par cas, les personnes admises sur le territoire. Entre les lignes, cela veut dire vraisemblablement prendre les chrétiens, et pas les musulmans. C’est là une deuxième atteinte discriminatoire.
Les associations de défense des droits civiques ont déjà remporté une bataille…
La première action en justice a été intentée dans l’Eastern District of New York : deux Irakiens qui étaient bloqués à l’aéroport JFK, avec des visas, ont finalement pu rentrer aux Etats-Unis samedi soir. Mais la juge n’a pas statué au fond. Sa décision est l’équivalent américain d’une ordonnance de référé. Elle dit en substance : «Je suspends l’application du décret car je pense que les plaignants vont gagner.» Elle ne s’applique pas qu’aux deux Irakiens, car l’action en justice est portée par les organisations de défense des libertés, qui ont élargi la question sur le fond. Pour tous les gens qui étaient bloqués dans les aéroports américains, le problème est réglé. Cela concerne les personnes qui ont déjà des visas ou des permis de séjour.
Et pour les autres ?
C’est un autre aspect du décret. Il dit que l’administration veut améliorer le vetting process, le processus de vérification des individus, avant admission sur le territoire. Elle se donne trois mois, le temps du décret, pour y arriver. Mais au bout de ce délai, elle pourra difficilement le rendre plus strict, car il est déjà l’un des plus durs au monde. Elle va donc, je pense, revenir quasiment à la situation actuelle. Entre-temps, Trump aura fait son show et fait peur à tout le monde.
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