Révolte contre la technologie ? (Laurent Alexandre)
Laurent Alexandre président de DNA Vision tente de décrire les peurs et les fantasmes de la technologie nouvelle dans uen interview à la Tribune.
Le début du vertige face à l’intelligence artificielle. Le numérique et la robotique ont déjà commencé à transformer des métiers appelés à disparaître. L’intelligence artificielle va amplifier le phénomène en touchant des professions qui ne s’y attendent pas, des emplois tertiaires, intermédiaires ou même très qualifiés, qui vont être rapidement dépassés par l’IA et les algorithmes. Comptables, juristes, chauffeurs, radiologues seront remplacés par l’IA avant que le dernier ouvrier ne se voie substituer un robot… La société est tétanisée par ce tsunami annoncé et on voit apparaître les néoluddites qui pensent résoudre le problème en interdisant le smartphone ou en taxant les robots. La seule bonne réponse est la formation, mais notre classement Pisa est un désastre. La guerre de l’IA sera gagnée par les cerveaux asiatiques.
Le début de l’offensive des professions libérales contre les chatbots. Les « robots conversationnels » associés à l’intelligence artificielle et à la réalité augmentée vont changer non seulement notre façon de consommer, mais aussi impacter tous les métiers de conseil. C’est une bombe à retardement pour les professions libérales, avocats, notaires, médecins, mais aussi les professeurs et les médias. Ces professions intellectuelles vont – comme les taxis avec Uber – demander des législations pour les protéger de cette concurrence. En 2025, les chatbots inclus dans nos smartphones nous connaîtront intimement et seront en mesure de nous offrir des services customisés, personnalisés, à la demande. 2017 sera le début de la prise de conscience de l’impact de cette révolution qui sera complètement dominante d’ici à quinze ans.
Le refus de la complexité technologique par les peuples. Les leaders populistes ont convaincu les peuples qu’il existe des solutions simples au moment même où le monde est plus complexe que jamais. Problème, on ne va pas encadrer l’économie numérique, l’intelligence artificielle ou les thérapies géniques avec des lois simples. Le conflit issu de ce choc est inévitable.
La montée d’une opposition de gauche contre le transhumanisme. Venu de la côte Ouest des États-Unis, le rêve transhumaniste entraîne une montée de la réaction bioconservatrice contre l’intelligence artificielle. De nouveaux intellectuels, comme le philosophe Éric Sadin en France, exigent de nouvelles législations pour arrêter le futur au nom d’une vision techno conservatrice.
La poursuite de la loi de Moore. Face aux difficultés d’Intel depuis 2015 pour inventer des processeurs plus puissants, certains en ont déduit que la fameuse loi de Moore, selon laquelle la puissance informatique double tous les dix-huit mois, touchait à son terme. Mais de nouvelles technologies de miniaturisation sont venues prendre le relais et les scientifiques pensent qu’avec des microprocesseurs de 10, puis de 5 voire de 3 nanomètres de large, la loi de Moore va se prolonger jusqu’en 2025. Parallèlement, le relais est pris par le développement de l’intelligence artificielle associée aux gigadonnées. L’expérimentation de l’autoapprentissage montre que le nouveau levier de la puissance informatique repose sur la data. Une IA, même médiocre, assise sur beaucoup de data, est beaucoup plus pertinente qu’une bonne IA avec peu de data. L’effet volume du big data prend le relais de la puissance informatique et c’est la raison pour laquelle les grandes plateformes américaines et chinoises ont pris une avance difficile à rattraper.
L’arrivée des BATX chinois en Occident. Les BATX, c’est-à-dire Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi, l’équivalent chinois des Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) partent à la conquête d’un marché européen vulnérable et déjà colonisé par les géants américains du digital. En l’absence de marché unique européen numérique, l’Europe est prise en sandwich entre les Gafa et les BATX et ne parvient toujours pas à bâtir ses propres « licornes ». On est en 1937 à la veille de la Seconde Guerre mondiale et l’Europe pense à tort se protéger en bâtissant une ligne Maginot numérique. Pendant ce temps, chez Baidu, le Google chinois, le patron de l’intelligence artificielle a sous sa responsabilité 2 500 chercheurs.
Le déclin des objets connectés. La révolution de l’IoT est une forme d’illusion qui se limite pour l’instant à des gadgets sans réel usage. Le seul véritable objet connecté est le smartphone que l’on garde toujours avec soi, ainsi toute la valeur va se concentrer dans le mobile et ses applications. Même le marché des montres connectées ne décolle pas. Le problème, c’est qu’il est compliqué de recharger autant de « wearables » différents.
La fin des Bisounours géopolitiques. Poutine a été la star de 2016 et formera avec Trump le couple star de 2017. Comme en 1937, l’Occident va devoir prendre conscience que l’histoire du monde est tragique, comme l’a montré notre impuissance face au drame d’Alep. Notre culture pacifiste et sociale-démocrate ne nous a pas armés pour vivre dans ce monde qui connaît déjà le retour de la guerre. L’Europe va devoir s’occuper à nouveau de sa défense mais n’en a ni les moyens financiers ni la capacité politique, surtout avec le Brexit. Elle est désarmée technologiquement face aux conflits du futur alors que la cyberguerre a déjà commencé et peut potentiellement être plus destructrice que les guerres conventionnelles. La course à l’intelligence artificielle va être militaire.
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Coauteur, avec Jean-Michel Besnier, de Les Robots font-ils l’amour ? Le transhumanisme en douze questions (Dunod, 2016).
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