La fin des journalistes ?

La fin des journalistes ?

 

Dans une interview à LA TRIBUNE  Dominique Volton, sociologue, s interroge sur l’avenir des journalistes devant la montée des nouveaux moyens d’information. Il soutient qu’on ne saurait réduire le métier au Web journalisme et que l’intermédiation journalistique est indispensable pour analyser l’information. En théorie, le sociologue a sans doute raison car la complexité de la formation exige compétence, sérieux et pédagogie. Mais en pratique force est de constater que les « Une » de la plupart des journaux sont construites à peu près sur le même modèle avec essentiellement la reprise des dépêches d’agence à peine retravaillée. Même les versions Internet des grands médias se ressemblent. Trop rares sont les véritables analyses, études ou enquêtes. Aujourd’hui le véritable vecteur d’information est  Internet même si ce support est aussi une auberge espagnole où le meilleur côtoie le pire. La révolution est en cours même si le paysage a besoin de se stabiliser avec davantage de critères de pertinence.

 

 

Interview dans la tribune

Les journalistes sont-ils une espèce en voie de disparition ?

DOMINIQUE WOLTON - Les médias n’est plus les seuls vecteurs d’accès à l’information. Le public dispose d’un grand nombre de comparatifs et prend lui-même ses sources. C’est pour cette raison qu’il est fondamental de résister à l’idéologie technologique et de cesser le mélange des genres : oui à la présence des médias sur le Web, non à la réduction du métier au « webjournalisme ». Internet ne doit pas devenir la référence journalistique, à laquelle presse écrite, radio et télévision devraient se soumettre. Le journalisme est d’abord une valeur, Internet, un système technique. Ce devrait être la technique qui s’adapte aux métiers et non l’inverse.

La multiplication des blogs personnels qui ambitionnent de se substituer à la production journalistique est une manifestation, parmi d’autres, d’un phénomène de société : le do-it-yourself, qui s’applique à nombre de domaines et constitue l’illusion d’un idéal de démocratie. Supposer que chacun puisse devenir journaliste-citoyen est dangereux. Critiquer la presse, oui ; remplacer le journaliste, non. La prolifération des sources d’information n’a, en effet, jamais rendu le travail des journalistes aussi essentiel pour justement trier, hiérarchiser, (in) valider, expliquer, critiquer, guider dans la compréhension… Ils doivent être « l’intermédiaire humain », ils doivent représenter le contre-pouvoir, ils doivent accomplir cette tâche subjective et pédagogique grâce à laquelle le citoyen peut se retrouver dans ce qui est devenu une jungle, puis construire sa conscience. Ils ont la responsabilité de produire un travail de nuance, de précision, de variété, qui ne soit pas celui de la suspicion généralisée. L’esprit critique des journalistes et la culture au-delà de l’événement sont indispensables à la presse. Sinon, c’est la pseudo-rationalité de l’événement qui s’impose. Plus il y a cette course à l’événement, plus on doit maintenir la mise à distance par les interprétations et la culture. La culture est un des amortisseurs face à l’hétérogénéité d’un monde transparent, chaotique et peu compréhensible.

À quelles conditions est-il possible de revitaliser le lien de confiance entre producteurs et consommateurs d’information ?

Depuis vingt-cinq ans, la confiance à l’égard des journalistes s’érode inexorablement. Cela alors même que l’offre médiatique n’a jamais été aussi copieuse et que la formation des journalistes n’a jamais été aussi pointue. L’augmentation du nombre de médias ne profite donc pas aux journalistes. Cette profession, paradoxalement, ne semble toujours pas entendre le discrédit dont elle est l’objet.

Autisme et arrogance la caractérisent souvent, surtout pour la hiérarchie. Et c’est éclatant en période électorale, à l’aune du terrible triangle qu’elle forme avec les politiques et les sondeurs, tous enfermés dans leur cénacle, tous éloignés de la réalité. Tous certains de tout savoir… Pas assez d’ouverture à l’égard des acteurs de la société́ civile ou du monde de l’université́ et de la recherche, qui pourrait élargir le débat. La mercantilisation affecte l’ensemble des fonctions intellectuelles critiques ; celle des journalistes n’y échappe pas. Elle touche déjà̀ le monde académique qui ne veut pas voir… Plus il y a de l’information, plus il y a de rumeurs et plus il y a de fautes. Or, qui filtre ? Personne. Nous vivons trop dans la tyrannie de l’instant et dans l’illusion que le citoyen « pourrait » tout savoir. Plus les sociétés sont « transparentes », « immédiates », plus il faut valoriser les métiers intermédiaires, dont celui des journalistes, pour essayer de donner du sens à un monde saturé d’informations. Dans ce contexte, la profession n’a pas d’autre choix que d’accepter une autorité́ de régulation déontologique.

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