« Les démocraties ont besoin d’élites »… ou de technocrates ? (Mion, directeur de sciences-po)
L’ancien énarque Frédéric Millon défend sa boutique de Sciences-po en considérant que la France a besoin d’élites. Il confond sans doute le concept d’élites avec celui de technocrates. Des technocrates qui bien sûr pullulent dans l’administration française mais aussi dans les entreprises grâces aux puissants réseaux d’influence constitués par les instituts d’études politiques, Sciences-po, l’ENA. Il ne craint pas d’ailleurs d’opposer les experts aux technocrates. Des experts qui seraient privés des connaissances des sciences sociales et politiques et même de la connaissance des réalités. On croit rêver évidemment. D’abord parce que nombre d’entreprises surtout publiques où sera recasent les technocrates sont dans une situation de gestion catastrophique. Ensuite parce que les politiques issus de cette filière n’ont guère fait la démonstration de leurs connaissances des réalités sociales concrètes. Formatés à peu près sur le même modèle, il se réfugie dans une dialectique scientiste et démagogique, en tout cas très approximative. De ce point de vue la France a davantage besoin d’experts, d’économistes et d’ingénieurs que d’anciens élèves d’instituts politiques. Extrait de l’interview parue dans les Échos
Nos démocraties ont-elles encore besoin d’élites et d’expertise ?
Oui, les démocraties ont besoin d’élites. C’est un besoin absolument vital. Nemat Shafik, une Anglo-Egyptienne formée à Oxford qui a rejoint l’administration britannique et les institutions internationales et qui va prendre prochainement la tête de la London School of Economics (LSE), me disait récemment que sa priorité sera de réhabiliter le rôle et la place de l’expertise. C’est un combat que je partage, mais qui n’a rien d’aisé. D’abord parce que nous vivons dans un monde de l’immédiateté, de la communication instantanée via des réseaux sociaux qui nous poussent à condenser toute pensée en quelques signes. C’est le règne du raccourci. Ensuite, parce qu’il nous faut réinventer les voies qui permettront aux experts de se faire entendre de l’opinion et des décideurs. Les experts ont la tentation de vivre en vase clos, avec pour risque de se priver d’un rôle social. Regardez, par exemple, l’écart qui existe entre les experts et l’opinion publique sur une question comme les migrations. Le consensus des experts est qu’elles sont vertueuses. Toute la recherche, toute la littérature prouvent qu’accueillir des immigrés a un impact positif sur un pays. Et pourtant, le ressenti des populations, c’est un consensus exactement inverse ! Comment faire se rencontrer ces deux visions ? C’est l’une des questions majeures pour les décennies qui viennent pour nos démocraties.
Comment définir le populisme ?
Comme la volonté de proposer à l’opinion des réponses simples, voire simplistes, au mépris de la complexité, en faisant appel à l’émotion plus qu’à l’intelligence. C’est ce qu’on a vécu lors de la campagne du Brexit. Une campagne pendant laquelle certains ont sciemment menti. La capacité à susciter la peur et l’angoisse l’a emporté.
Les écoles comme la vôtre, qui forment les élites, n’ont-elles pas leur part de responsabilité ?
Notre responsabilité est pleinement engagée pour contribuer à rénover la légitimité des futurs décideurs. Nous devons intervenir à deux niveaux, le recrutement, d’une part, et le contenu de la formation, d’autre part. A nous, d’abord, de faire en sorte que celles et ceux que nous formons et qui ont vocation à rejoindre l’élite ne soient pas tous issus du même petit monde parisien. Sciences Po a atteint aujourd’hui près de 30 % de boursiers et nos nouveaux admis proviennent de 1.020 lycées à travers le monde. Mais nous devons poursuivre notre recrutement dans tout le pays, tous les pays, toutes les couches de la société. Pourquoi cette nécessité de diversité et de mixité ? Parce que l’apprentissage n’est pas que vertical, il est aussi, voire avant tout, horizontal. On apprend avec ses pairs et on apprend de ses pairs, au sein d’une communauté humaine. Attirer les talents les plus divers n’impose d’ailleurs nullement que nous abaissions nos niveaux d’exigence. A nous, en second lieu, de repenser en profondeur nos méthodes pédagogiques et nos formations pour que nos étudiants acquièrent une vraie expérience du terrain. A Sciences Po, les sciences sociales nous apportent des clefs essentielles de compréhension et un enracinement dans la réalité.
L’ENA se justifie-t-elle encore ?
L’ENA est-elle la source de tous nos maux ? Non. Elle demeure sans doute la moins mauvaise des réponses pour le recrutement des hauts cadres de l’Etat. Le contenu de l’enseignement dispensé à l’ENA est-il convaincant ? On entend souvent que les élèves apprécient les stages, mais peu les cours. Je salue le travail de Nathalie Loiseau pour répondre à ce défi. Le problème est que les jeunes qui sortent de l’ENA donnent l’impression d’être déconnectés de la réalité. C’est là-dessus qu’il faut travailler, et ce travail commence en amont de l’ENA.
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