»Trump, c’est la défaite de la démocratie »(Marc Dugain)
L’Écrivain et réalisateur Marc Dugain considère l’élection de Donald Trump comme le symptôme d’un « modèle démocratique rongé de l’intérieur » dans une interview au JDD.
Selon vous, que dit la victoire de Donald Trump de la société américaine?
On aurait tort de cantonner ça à un vote de protestation, car c’est une adhésion à un populisme flamboyant. C’est un encouragement aux tendances qu’il y a en Europe, en partie avec Le Pen et Sarkozy. Le n’importe quoi a marché… Il aurait perdu l’élection, on aurait dit qu’il a essayé de casser les codes mais n’a pas réussi en raison de fondements démocratiques qui l’en empêchent. Ces fondements démocratiques ne sont pas là et la société américaine est aussi capable d’être d’extrême-droite. C’est très inquiétant car il y a, à la tête des plus grands États, en Russie et aux Etats-Unis, des gens qu’on ne pensait jamais revoir au pouvoir.
Justement, le fait que Trump arrive au pouvoir ne traduit-il pas une colère inédite dans la société
américaine?
Oui, car la société repose sur un faux-semblant : l’idée que chacun peut réussir. Sauf que ce sont les mêmes qui réussissent et que le niveau d’inégalités est intolérable pour beaucoup de gens. Avec des gens assez peu instruits, mécontents de leur sort, c’est facile de trouver des boucs émissaires. Il s’agit d’une démagogie low-cost. Ça marche, et c’est effrayant. Sanders aurait été candidat, le débat aurait été de meilleure qualité. Clinton n’a pas été à la hauteur du défi, elle était dans une continuité après avoir été secrétaire d’Etat et la femme de Bill Clinton.
Beaucoup de spécialistes prédisaient la victoire de Clinton, comment expliquer sa défaite?
C’est assez inattendu. Je n’aurais pas parié sur lui, même la veille. Mais en fait, c’est méconnaître les vrais problèmes de l’Amérique depuis la crise des subprimes, où les gens des classes populaires ont été littéralement épongés.
Pour ces électeurs, Trump est-il un modèle de l’Américain qui réussit?
C’est en tout cas le modèle de la grande gueule qui plaît à des gens pour qui Hillary Clinton est vieille, fatiguée, avocate de la grande bourgeoisie qui ne peut pas les comprendre.
Donald Trump a aussi fait campagne sur l’opposition entre Américains et Mexicains, entre hommes et femmes…. Le résultat de l’élection valide-t-il sa grille de lecture?
Dans les années 1970, il y avait déjà un clivage considérable. Aujourd’hui, il y a les Noirs, les Mexicains, les femmes ou les Chinois… La cohésion se fait bien souvent dans la désignation d’un ennemi commun, même si les gens ne le perçoivent pas au quotidien. Les médias ont leur part de responsabilité, aux Etats-Unis, où les gens passent leur temps devant des émissions sur des flics qui arrêtent des gangs dans les banlieues. L’insécurité est renforcée par l’image qui en est véhiculée.
Ce climat est aussi palpable en France, le résultat pourrait-il être le même dans six mois?
Oui, car le sentiment d’insécurité par rapport aux terroristes crée une forte psychose. Dans ces cas-là, cela favorise l’imaginaire d’un Etat fort qui mettrait tout le monde en prison. Mais jamais, on n’explique aux gens qu’il s’agit d’un problème de partage, comme dans toutes les sociétés. Aux Etats-Unis, il n’y a pas de partage et quand on est malade, on est mort. La société fonctionne au mérite, avec un faible nombre de milliardaires. Tout cela est une vaste tromperie.
Les gouvernements européens et les partis peuvent-ils insister sur cette notion de partage pour contrer l’extrême-droite?
Oui, parce que le clivage capital-travail n’a pas d’avenir. La société numérique va vers la robotisation, l’automatisation et la disparition des emplois les moins qualifiés. Et il y a une détresse face à ces transformations. En Europe, on arrive à la contenir avec des allocations chômage, avec une santé gratuite… Pas aux Etats-Unis. La peur de la société dans laquelle on entre crée une envie du passé, mais ces sociétés-là sont finies pour de bon.
C’est la recette de Trump, qui voulait rendre à l’Amérique sa grandeur… le retour à l’âge d’or?
Il y a une sorte de nostalgie d’un temps qui n’a pas existé, ou très peu de temps pendant les Trente Glorieuses. Comment les sociétés occidentales vont évoluer et quelle sera la place de chacun? La révolution numérique est plus considérable que la révolution industrielle et celle de l’énergie. Les gens ne la comprennent pas et votent par désespoir. Ils se disent : « Il y a un homme qui sait ce qu’il faut faire, allons-y. »
S’agirait-il d’une défaite des idées et des élites?
C’est une défaite de la démocratie. Depuis vingt ans, la démocratie se déprécie en raison de promesses extravagantes de moins en moins tenues. Le Front national ne ferait pas le score qu’il fait si Hollande avait tenu ses promesses. Les électeurs se tournent vers ceux qui leur parlent le plus simplement et n’ont pas les filtres pour identifier ce qu’il peut y avoir de démagogique et populiste dans ces discours.
Trump peut-il tenir ses promesses?
Aujourd’hui, pour les Chinois, le vrai patron des Etats-Unis est le président de Google. La marge de manœuvre des politiques est faible, ils ne peuvent rien révolutionner. Pour moi, Trump est la réalisation du cauchemar : les politiques n’ont plus prise sur le réel et peuvent dire n’importe quoi pour se faire élire, sachant qu’ils ne feront rien. Le modèle démocratique est en péril car il est rongé de l’intérieur. Trump est clairement dans l’ancien monde, il crée un écran de fumée, d’autant plus dramatique que la société numérique se met en place sans les politiques. Le travail est en train de disparaître dans la conception qu’on en avait. La technologie l’emporte, elle mène le monde. Pas la politique.
La technologie va-t-elle tuer la politique?
Oui. Avec Internet, on va se retrouver dans une société où le scrutin démocratique d’aujourd’hui va exploser. Croire qu’un homme peut changer les choses est illusoire. Donald Trump, c’est le début de la conséquence politique d’une révolution sociétale et numérique.
*Marc Dugain, Christophe Labbé, L’homme nu. La dictature invisible du numérique, Plon, 2016, 320 pp.
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