L’Industrie du futur (Louis Gallois)
Quelle industrie du futur, quelle modernisation notamment des PME, quelles conséquences sociales ? Dans un interview à Challenges Louis Gallois Coprésident de La Fabrique de l’industrie et président du conseil de surveillance de PSA-Peugeot Citroën pose la problématique.
LA TRIBUNE - L’industrie du futur est un sujet à la mode : devient-elle une réalité pour les entreprises françaises ?
LOUIS GALLOIS - Elles n’ont pas le choix, car elles sont au pied du mur. Si elles veulent récupérer le terrain perdu après plusieurs années de sous-investissement, les entreprises françaises doivent à tout prix moderniser, et en particulier numériser leur appareil productif. La question ne se pose pas tellement pour les entreprises du CAC 40 et les ETI qui ont su s’armer pour conquérir des marchés à l’export. En revanche, ce chantier doit être une priorité pour les TPE et les PME, qui accusent un retard certain. Grâce à la numérisation, les petites et moyennes entreprises industrielles ont une chance, peut-être unique, de se mettre à niveau sur le plan technologique. D’une certaine façon, on peut dire que l’industrie du futur est une occasion de rebattre les cartes et de revenir dans la course, à condition, bien sûr, d’investir. Même si les TPE et les PME allemandes ont un temps d’avance sur nous dans ce domaine, l’ouvrage Industrie 4.0 de Dorothée Kohler et Jean-Daniel Weisz, coédité par la Fabrique de l’industrie et BPI France, indique qu’il existe également outre-Rhin des freins, notamment psychologiques, qui entravent la modernisation et la numérisation de l’industrie. C’est à cela qu’il faut s’attaquer.
Les PME ont-elles les moyens de mener ce rattrapage ?
Actuellement, de l’argent il y en a. Le taux de marge des entreprises industrielles est remonté à plus de 35 %. La politique de la BCE conduit à des conditions de crédit très attractives. Le coût des matières premières et de l’énergie est bas. En prolongeant la mesure de suramortissement de l’investissement industriel, le gouvernement a pris une bonne décision. Il faut accompagner la reprise de l’investissement en cours.
Qui doit impulser ce chantier ? L’État ou les industriels ?
Tout le monde est concerné. L’État doit créer la confiance et réunir les conditions, notamment fiscales et réglementaires, pour que les investissements soient engagés. Mais il ne faut pas, bien sûr, tout en attendre. Les branches professionnelles, les réseaux consulaires, les industriels et en particulier les donneurs d’ordre ont leur rôle à jouer. Au sein des entreprises et en particulier des PME et des sous-traitants, il faut aussi un changement de culture. Les entrepreneurs doivent se saisir de ces questions liées à la modernisation de leur entreprise. Sinon, le choc sera rude, car la concurrence va vite.
Chez PSA, par exemple, c’est un élément structurant du plan stratégique push to pass lancé par Carlos Tavares : les grandes entreprises qui ne prendraient pas ce sujet au sérieux encourent un risque vital. C’est tout aussi vrai dans les PME. Je comprends bien la crainte de certains chefs d’entreprise face à ces changements : jouer l’industrie du futur, c’est souvent accepter de changer de modèle économique. Là aussi, il y a un risque. Mais rien ne serait pire que de rester dans sa zone de confort en pensant que rien ne va changer.
L’enjeu, c’est aussi le changement du travail, la place de l’homme dans ce monde numérique…
Oui, et il va nous falloir investir dans l’élévation des qualifications lorsqu’on passe, par exemple, d’un travail d’exécution à des tâches de maintenance. Le numérique va permettre d’autonomiser des ateliers et de mettre les personnels en mesure de prendre plus de responsabilités dans les processus de production. Cela pose d’ailleurs un problème pour l’avenir des emplois peu qualifiés, et c’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai plaidé, avec un succès limité jusqu’ici, pour que les allégements de charges ne soient pas concentrés seulement sur les bas salaires, mais s’étendent jusqu’à 3,5 Smic. Les allégements de charges sur les bas salaires ont un effet immédiat contre le chômage, mais ils tirent les qualifications vers le bas ; alors que l’emploi non qualifié est le plus menacé par l’automatisation et le numérique.
L’Industrie 4.0 allemande associe les partenaires sociaux. Cela ne devrait-il pas être aussi le cas en France ?
Le gouvernement a confié l’Alliance pour l’industrie du futur aux industriels, c’est une bonne idée pour ajuster l’action aux besoins des entreprises et motiver les acteurs de terrain. Je suis favorable à ce que les syndicats de salariés qui le souhaitent soient également parties prenantes comme en Allemagne. Ils doivent avoir une vision claire des mutations en cours et s’y préparer. Car nous devons nous attendre à des changements profonds sur la nature des emplois et sur la structure même du travail. Personne ne sait encore dire quel sera l’impact global du numérique sur l’emploi. On pressent que beaucoup d’emplois peu qualifiés ou intermédiaires peuvent disparaître. Mais je ne suis pas pessimiste à terme, car les gains de productivité créent de la croissance et donc de nouveaux emplois, certes différents de ceux que nous connaissons aujourd’hui. La grande difficulté, ce sera de gérer la transition d’une structure d’emploi vers une autre. Là encore, tout le monde doit être sur le pont. L’Éducation nationale, l’Enseignement supérieur, l’apprentissage, la formation professionnelle et donc les branches professionnelles. Les mutations en cours nécessitent de nouvelles compétences : traitement des données, programmeurs, designers Internet… Les formations correspondantes n’existent pas, ou pas suffisamment. D’où des initiatives heureuses, comme celle de Xavier Niel, avec l’école 42. Heureusement, nos écoles d’ingénieurs sont excellentes. Mais il faut veiller à ce que nos talents ne soient pas chassés par les entreprises étrangères. Il faudra investir dans la formation, mais aussi inventer de nouvelles formes de sécurité sociale adaptées à une plus grande mobilité et diversité. Le compte personnel d’activité (CPA) créé dans la loi El Khomri en est une ébauche, qu’il faudra enrichir. Tout ce qui permettra de dédramatiser les changements d’emplois sera crucial dans la période à venir. Le salariat ne va pas disparaître, mais on va voir émerger une plus grande diversité de situations professionnelles avec l’économie numérique. Le développement du travail indépendant, et de nouvelles formes d’activité, plus souples, ne devront pas réduire le niveau de protection sociale.
Avec le tout-connecté, l’ère de Big Brother est-elle advenue aussi dans les usines?
Qui n’est pas surveillé ? C’est un peu effrayant, je l’avoue ; cela suppose de la vigilance et des garde-fous. Plus globalement, pour l’industrie automobile, l’enjeu est comme pour beaucoup de secteurs de l’économie « traditionnelle » de se battre pour conserver la relation avec les clients, et ne pas la laisser à Google ou à d’autres. Je ne crois pas que les opérateurs Internet vont se lancer dans la production de voitures, mais ils vont chercher à gérer l’interface entre les producteurs et leurs clients. On a vu comment l’industrie automobile allemande s’est regroupée pour empêcher Google de racheter la géolocalisation de Nokia.
Quel sera l’impact de la fabrication additive et des imprimantes 3D ?
L’impression 3D ouvre des perspectives nouvelles : personnalisation des produits, économie de matières, complexité des formes… mais elle présente encore des limites. Il faudra voir comment les pièces vieillissent, assurer le traitement de surface, diversifier les matériaux : du plastique au métal ou à la céramique. Ce n’est qu’une partie de l’industrie du futur. Le grand changement industriel, pour moi, c’est le mouvement rapide vers une intégration complète de toutes les fonctions de l’entreprise et des relations avec les fournisseurs et les clients pour optimiser le processus productif. Avant, on faisait en masse des produits identiques ; désormais on va fabriquer en masse des produits personnalisés avec une efficacité accrue.
L’industrie du Futur est-elle de nature à renforcer la coopération européenne, et notamment avec l’Allemagne, comme le souhaitent Emmanuel Macron et Sigmar Gabriel, qui ont signé à Hanovre un accord en ce sens ?
Nos problématiques sont différentes. La France insiste sur la demande qu’entraîne la modernisation de notre appareil productif : nous devons acheter de nouvelles machines que, hélas, souvent nous ne produisons plus chez nous. En Allemagne, l’enjeu majeur est de permettre aux entreprises de conserver leur leadership dans l’offre de biens d’équipement, contributeur massif à l’excédent commercial allemand. Mais il y a de nombreux domaines où nous pouvons travailler ensemble : les compétences, la formation, les normes… et pourquoi pas la sensibilisation et le coaching des PME !
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