Crise : quelle régulation ? Une réponse à Madame Lagarde
Une interview d’Hubert Rodarie, DGD de SMA est co-animateur du programme «Normes de la Finance» à la Chaire éthique et finance de la MSH dans le Figaro qui pose la question de l’évolution des normes suite à la déclaration de Christine Lagarde sur l’Etat de l’économie mondiale. Un propos qu’on peut contester mais qui mérite d’être entendu notamment par rapport au transfert de la valeur ajoutée vers le trou de la dette. :
« Dans une interview au Figaro, le 19 avril dernier, Christine Lagarde dresse constate que «les cicatrices de la crise de 2008-2009 n’ont pas été toujours bien traitées». Que veut-elle dire? La directrice générale du FMI cite les créances douteuses des banques, le manque de réformes structurelles des États et des législations sociales et la politique budgétaire. Seraient-ce les vraies raisons «du manque de croissance de l’économie mondiale?» La réponse est non. Huit ans après, ce sont, hélas, les raisons toujours agissantes de la crise de 2008 qui expliquent la stagnation actuelle ; et non l’absence de traitement des conséquences.
Voici quelques années, nous pointions comme «macro-cause» des divers dérèglements l’implantation répétée dans l’économie mondiale d’un dispositif économique global que l’on peut qualifier de ricardien, car on invoque souvent David Ricardo (1772-1823) pour le justifier. Pour stimuler les échanges on organise des déséquilibres durables de coûts de production entre deux zones économiques et monétaires. Pour cela, on empêche ou freine le mécanisme des changes de faire son travail d’équilibrage.
Depuis soixante ans, cette construction politico-économique a été implantée plusieurs fois. Depuis 1998, la Chine en bénéficie. Mais ce système produit des effets néfastes qui ne sont ni maîtrisés, ni maîtrisables. Les crises récurrentes le prouvent. Ainsi, l’accumulation de dettes de toutes natures s’est révélée comme l’effet néfaste majeur de ce système. En 2008, ce phénomène a été démontré ; en 2015 il persiste toujours comme le montrent plusieurs études. Il faut donc conclure que ce processus d’endettement, sans frein ni fin, constitue le marqueur des effets néfastes du dispositif actuel et que la dette globale devient le trou noir de l’économie mondiale dans lequel bascule peu à peu la valeur ajoutée créée dans le monde.
Mais la dynamique impulsée à l’activité mondiale depuis 1998 par la stimulation des échanges avec la Chine s’étouffe aujourd’hui sous le poids de ses conséquences non voulues. Les politiques monétaires, comme les autres mesures, ne sont que des actions de retardement de cette asphyxie programmée. La loi dite de modération universelle s’impose inexorablement:
Depuis 2008, rien n’a vraiment changé. Il n’y a aucune remise en cause des paradigmes qui justifient les organisations actuelles. Tous les maux subis sont attribués, comme le fait Mme Lagarde, à des fautes ou à des erreurs politiques. Puisqu’on ne veut tarir la source des dettes, il est décrété que pour en éliminer les risques, il convient d’édicter plus de normes et de règles. On nous dit que le danger réside dans la transgression de la norme, l’absence de régulation, ou l’échec des contrôles. Le système se referme sur lui-même. Cette vision du risque est un appauvrissement intellectuel. Elle réduit le risque en confondant fraude et accident, faute et danger. Cette vision du risque écarte l’incertitude, nie le temps et ce qu’il apporte en changements de contexte et en surprises. Elle est erronée. Surtout, chacun voit que l’ordre s’est en réalité inversé: la norme n’est plus un outil au service des acteurs économiques, mais une matière en soi qui structure et modèle l’activité économique. Ce qui oblige à poser la question de la responsabilité même des modèles d’activité et des régulations globales dans l’arrivée des crises économiques. Question à poser à Mme Lagarde, au FMI et aux autres régulateurs du système financier et économique. Pour retrouver la croissance, ne faut-il pas rompre avec les dispositifs ricardiens? Ne faudrait-il pas enfin quitter cette mentalité marquée par l’impératif de la reconstruction des années 1950 qui les justifiait? Maintenant que les grands pays communistes ont rejoint les autres, et l’arrivée de la Chine et du yuan au cœur du FMI en sont le symbole, ne serait-ce pas le moment de reconstruire un ordre économique et monétaire international qui favorise des échanges équilibrés? Un ordre et une régulation pour des temps de la maturité. »
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