Le CDI à vie c’est fini ! (Macron)
Une interview intéressante d’Emmanuel Macron qui justifie la loi travail. Nombre d’arguments sont pertinents, d’autres le sont moins. Des insuffisances d’abord le manque d’analyse de la situation actuelle concernant la précarité, aussi le manque de vision globale relatif à l’équilibre entre la flexibilité dont doivent disposer les entreprises et les garanties dont doivent bénéficier les salariés. Sur le constat il y a longtemps que le CDI à vie dans la même entreprise n’est plus d’actualité. Ce n’est donc pas un élément de prospective mais une réalité sociale pour beaucoup de salariés. Selon Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, « la responsabilité d’un homme politique, c’est de donner aux individus la possibilité de réussir, dans un environnement où le modèle ne sera plus un CDI toute la vie dans la même entreprise, modèle sur lequel est fondé notre droit du travail depuis 1945″.Dans cet entretien à La Tribune, le ministre de l’Economie s’explique sur la loi qui ne porte pas son nom, mais reprend pour l’essentiel l’inspiration de ce qui aurait pu être la loi Macron II sur les Nouvelles opportunités économiques.(Interview dans la tribune)
La loi El Khomri soulève une bronca à gauche. Martine Aubry et d’autres frondeurs critiquent ce virage libéral pour lequel ils n’ont pas voté. Les syndicats la jugent trop déséquilibrée. Les étudiants de l’Unef appellent à manifester, alors que plus de 800 .000 personnes ont signé une pétition sur les réseaux sociaux. Avez-vous employé la bonne méthode pour aborder un sujet aussi sensible en fin de quinquennat ? Pensez-vous encore possible de trouver
une majorité, comme l’a demandé le président de la République ?
EMMANUEL MACRON - Oui, c’est possible et nécessaire, à condition de clarifier, de donner l’explication qui va avec pour dépassionner le débat. L’idée n’est pas de détricoter cette loi et de ne rien changer à un moment où nous avons décrété un état d’urgence économique et social pour inverser la courbe du chômage. Tout n’a pas été essayé pour y parvenir et la réforme du marché du travail fait partie de la panoplie des mesures à prendre, comme l’ont fait certains de nos voisins européens – l’Italie, l’Allemagne, les Pays-Bas ou l’Espagne.
Essayons de parvenir à un diagnostic partagé. C’est peu de dire que la situation actuelle sur le marché de l’emploi est inefficace et injuste. Nous sommes l’un des rares pays européens où le chômage ne baisse pas. Nous avons depuis trente ans dans notre pays plus de 18 % des jeunes au chômage en moyenne. Aujourd’hui, il touche plus de 10 % de la population active et 25 % des jeunes de moins de 25 ans. Parmi les gens qui ont un travail, 80 % sont en CDI, c’est bien. Mais 90 % des gens qui rentrent sur le marché de l’emploi passent par des CDD ou de l’intérim de manière durable. Et cela dans un système qui est ainsi fait que quand vous êtes en situation de précarité, vous ne pouvez pas construire votre vie, car vous n’avez pas accès au crédit, vous ne pouvez pas vous projeter dans l’avenir.
De quoi a-t-on besoin ? D’abord et avant tout d’adaptabilité. On a besoin de faire confiance aux acteurs de terrain, de leur donner de la souplesse. Pas pour tout flexibiliser, mais pour pouvoir absorber les chocs. En 2009, on a subi une crise en Europe. Elle a été deux fois plus violente en Allemagne qu’en France et, pourtant, elle a détruit sept fois moins d’emplois. Pourquoi ? Il serait irresponsable de ne pas se poser la question. Parce qu’ils ont un modèle adaptable, parce qu’ils ont su négocier au niveau de l’entreprise, des baisses de salaires ici, du chômage partiel là… Ce faisant, ils ont préservé leurs salariés et leur savoir-faire, et leur capital productif.
La bonne réponse à notre situation, c’est donc de donner plus de flexibilité au niveau de l’entreprise. On a commencé à le faire avec les accords de maintien dans l’emploi, notamment dans la loi Croissance et activité, que j’ai portée. Quand ça va mal, une entreprise peut désormais négocier par le biais d’un accord majoritaire des dérogations à la loi pour une durée qui peut aller jusqu’à cinq ans. C’est l’équivalent du Kurtzarbeit allemand, mais défensif.
Ce que propose la loi sur le travail, c’est d’étendre cette souplesse dans un sens plus offensif. Il y a en effet une hiérarchie des normes en France, qui prend la forme de ce que l’on appelle la crémaillère sociale. La loi définit un ordre public minimal qui peut être amélioré au niveau de la branche ou de l’entreprise : ce qui veut dire qu’à chaque fois qu’on descend d’un niveau de normes, on ne peut pas déroger à celles du dessus, ce qui ne permet pas de prendre en compte les spécificités des entreprises. Dans un environnement de compétition économique ouvert, ce système est trop rigide. Redonner de la souplesse aux acteurs de terrain, c’est leur dire qu’ils peuvent définir de nouvelles règles du jeu par accord d’entreprise majoritaire ou par consultation, si des syndicats représentant plus de 30 % des voix aux élections le demandent pour sortir de situations de blocage. La consultation des salariés peut être utile dans certaines situations spécifiques.
Beaucoup d’opposants voient dans ces mesures un « permis de licencier ».
Si l’on veut lutter contre ce que l’on appelle le dualisme du marché du travail et l’injustice qu’il y a entre le CDD et le CDI, il faut avoir pour objectif que tout le monde puisse avoir un CDI. Il faut se demander pourquoi ce n’est pas plus le cas aujourd’hui. Qui n’accède pas au CDI ? Les gens les moins bien formés, les jeunes, les plus fragiles. La cause, selon les chefs d’entreprise eux-mêmes, ce sont les conditions de rupture de ce contrat. On a majoré le coût du CDD et malgré cela, à peine 10 % des nouvelles embauches se font en CDI. Le blocage majeur, c’est l’incertitude liée au coût de la rupture d’un CDI, si les choses devaient mal se passer. Il faut donc redonner de la visibilité aux acteurs, leur permettre d’anticiper.
Il y a deux fois plus d’entrées à Pôle emploi à la suite d’une rupture conventionnelle qu’à la suite d’un licenciement économique. C’est une sorte de divorce à l’amiable créé par la précédente majorité, qui est assez cher, mais ce n’est qu’un dérivatif qui ne s’attaque pas au cœur du problème. Ensuite, il y a le licenciement économique, qui comporte des garanties pour les salariés et qui ne représente que 2,5 % seulement des entrées à Pole emploi, car c’est un dispositif assez rigide. Personne ne fait du licenciement économique par plaisir. Ce que nous proposons, c’est de permettre à une entreprise d’agir pour sauvegarder sa compétitivité, comme la Cour de cassation l’autorise : quand cela commence à aller mal, et que le chef d’entreprise considère qu’il faut agir pour assurer la pérennité, il faut qu’il puisse anticiper.
Or, la jurisprudence actuelle est complexe et source d’incertitude : elle reconnaît la compétitivité comme motif de licenciement économique, mais pour une branche d’activité et pas pour une entreprise. Donc on a des cas ubuesques où, si vous êtes une entreprise qui va mal dans une branche d’activité d’un groupe qui va bien, le chef d’entreprise ne peut pas agir. Nous proposons également que les difficultés économiques soient appréciées de façon objective, c’est-à-dire que quatre trimestres d’affilée de baisse du chiffre d’affaires ou deux trimestres consécutifs de pertes d’exploitation, ce qui n’est pas rien, seront reconnus par la loi comme caractérisant un motif de licenciement économique. Ce n’est pas un cadeau aux patrons qui est fait. La procédure demeure protectrice des salariés, avec des obligations de reclassement et des contraintes pour réembaucher. Sinon, ce que l’on constate, c’est que le chef d’entreprise, confronté à une période difficile, n’embauche pas en CDI.
Autre sujet de désaccord, le plafonnement des indemnités prud’homales. Il prépare un licenciement au rabais, disent ceux qui s’y opposent…
La troisième façon de mettre fin à une relation de travail, c’est le licenciement individuel. Dans la loi Croissance et activité, j’ai voulu, contre l’avis de tous, du Medef aux syndicats les moins réformistes, réformer les prud’hommes dont les délais étaient trop longs et les jugements trop incertains. Cela dure en moyenne vingt-sept mois, quatre ans à Paris, on ne concilie que dans 6 % des cas, et on observe une dispersion colossale des dommages et intérêts. Notre réforme réduit les délais, oblige à mettre en état le dossier au début de la procédure et à essayer vraiment de concilier les parties. Elle propose un plafond comme cela existe chez nos voisins en cas de cause non réelle et sérieuse.
Ce plafonnement ne vaut pas pour les cas abusifs, de licenciements nuls, de discrimination ou de harcèlement au travail. On a été censuré parce qu’on avait essayé de moduler en fonction de la taille de l’entreprise. Nous le proposons à nouveau, dans un cadre général, afin de sécuriser, pour chacune des parties, la rupture par le licenciement individuel.
Finalement, la loi El Khomri porte essentiellement votre inspiration,
celle qui aurait pu figurer dans la loi Macron II sur les nouvelles opportunités économiques ?
La réforme du licenciement économique, je l’avais défendue dans la loi Croissance et activité puisqu’elle a figuré en première lecture au Sénat, puis a été retirée. Mais je l’assume, car ces changements me semblent justes et efficaces pour l’emploi. Cette disposition fait partie de celles envisagées dans le cadre de la stratégie pour les nouvelles opportunités économiques, dans la continuité de la première loi, dans une perspective d’ouverture et de mobilité sociale.
La cohérence d’ensemble manque. Est-ce qu’en découpant en deux votre deuxième loi, le gouvernement ne passe pas à côté de la pédagogie nécessaire… et de l’occasion d’expliquer pourquoi la révolution numérique, la mondialisation, imposent de faire bouger les lignes, de briser certains tabous ?
Donner plus d’adaptabilité aux entreprises, plus de sécurité aux contrats et de visibilité en cas de rupture va de pair avec notre volonté de donner plus d’options aux gens : si on veut vraiment protéger les Français dans ce nouveau monde plus volatil, où tout va plus vite, il faut leur donner de l’autonomie. Protéger les gens, ce n’est pas leur promettre une société qui n’existe plus, un modèle qui est fragilisé. Ce n’est pas de mettre des digues face à la mer. C’est d’abord d’expliquer ce monde nouveau, qui est plus incertain, avec des changements très brutaux qui peuvent être aussi des opportunités, par exemple pour entreprendre plus facilement pour soi-même. Si nous voulons agir maintenant, ce n’est pas par volonté de briser les tabous par principe, ni pour casser l’ordre social, mais pour nous permettre de nous préparer à ces mutations.
La responsabilité d’un homme politique, c’est de donner aux individus la possibilité de réussir, dans un environnement où le modèle ne sera plus un CDI toute la vie dans la même entreprise, modèle sur lequel est fondé notre droit du travail depuis 1945. Ce sera de plus en plus une exception, mais ce n’est pas forcément grave. L’avenir sera même plus favorable aux individus, parce que cette révolution numérique porte aussi en elle moins de pénibilité, plus d’autonomie dans la relation au travail. Elle atténue le caractère roboratif et sans intérêt, parfois insupportable, du travail tel qu’on l’a conçu jusqu’ici. Demandez-vous pourquoi, lorsqu’il y a un plan de départs, même dans les très belles entreprises publiques, ceux qui ont plus de 55 ans veulent trop souvent prendre leur chèque et partir. C’est parce que souvent ils ne s’épanouissent plus dans leur métier, parce qu’on les a trop peu formés pour faire autre chose.
En fait, on a un peu l’impression que cette réforme oppose deux camps : celui des salariés et celui des chômeurs…
En France, on a longtemps vécu sur un accord implicite échangeant hyper-protection pour les insiders et hyper-précarité pour les outsiders, souvent livrés à eux-mêmes. Dans des modèles plus adaptés aux disruptions que nous connaissons, à une économie qui va vite, il y a certes plus de flexibilité, parfois plus de risques, mais dans le même temps, il y a beaucoup plus d’exigences vis-à-vis des employeurs, sur la formation notamment. On parle souvent du modèle californien comme d’un enfer social, très instable. Contrairement à ce que l’on dit, dans la Silicon Valley, on fait plus attention aux salariés, qui changent plus souvent d’entreprise.
Que contiendra la partie II de feu la loi Noé sur l’ouverture de l’accès aux métiers et sur la micro-entreprise, qui sera reprise dans la loi Sapin au printemps ?
Cette nouvelle « nouvelle » économie implique des changements très rapides, elle fragilise la création d’emplois à qualification moyenne, ceux qui sont plus facilement automatisables. Elle développe des emplois plus qualifiés, donc il faut mieux former celles et ceux qui font des tâches réplicables. Demain, ils devront programmer et assurer la maintenance des robots dans les usines. C’est cela qui est en train de se passer et donc mieux vaut préempter cette révolution que de la subir.
Ensuite, cette révolution crée des opportunités nouvelles pour des emplois peu qualifiés, des emplois de services et d’aide à la personne. Pourquoi ? Parce que dans cette économie, on va de moins en moins souvent vendre un objet et de plus en plus vendre une solution. Il faut donc libérer le potentiel de création d’emplois peu qualifiés dans notre économie. Et en fait, l’accès en est assez fermé, paradoxalement.
Tout ce qui dépend du registre du commerce, tout le monde peut le faire. Demain, je peux ouvrir une pizzeria, un magasin de photocopie, mais pas un salon de coiffure ou tout ce qui relève des chambres de métiers. Il y a bien sûr un ordre public sanitaire, environnemental, social, à respecter, sous le contrôle de l’État. Mais il y a aussi beaucoup trop de barrières à l’entrée. Il est beaucoup plus souhaitable pour un jeune qui est en échec dans son parcours scolaire ou universitaire d’entrer dans un métier par un CAP et de se former tout au long de sa vie, que de l’enfermer dans un cadre qui ne lui convient pas. Il n’y a aucune raison par exemple qu’un coiffeur qui n’aurait que le CAP et dix ans d’expérience ne puisse pas ouvrir son salon parce qu’il n’a pas passé le brevet professionnel. C’est devenu injustifié.
L’objectif n’est pas ici de dévaloriser les formations, mais de reconnaître la multiplicité des choix possibles dans une société. Il ne faut pas réduire les opportunités, mais les multiplier. Le diplôme ne doit pas être la seule voie royale pour rentrer dans la vie active. Il y a aussi l’alternance, l’apprentissage et l’entrepreneuriat pour soi-même. Il y a également des pratiques de discrimination qui existent malheureusement encore dans notre pays : pour certains jeunes, il est plus facile de trouver des clients que des employeurs. Et, parce qu’à certains moments de la vie, le contrat du salariat, protection contre subordination, devient insupportable, beaucoup veulent s’installer à leur compte. Or, on n’a pas forcément l’argent ni le temps pour faire une formation et passer un brevet professionnel. Il faut donc que l’on puisse alléger ces barrières, mais aussi aider ces jeunes entreprises à croître plus vite, en simplifiant les règles fiscales et juridiques, par exemple quand vous embauchez votre premier salarié. Il faut que cela soit beaucoup souple et plus fluide.