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Arrêtons de croire romantisme du numérique (Par Philippe Manière)

Arrêtons de croire romantisme du numérique (Par Philippe Manière)

       

Enfin une réflexion salutaire qui recadre bien les limites de la mode du numérique, une mode qui serait susceptible de résoudre tous les maux de la société, économiques,  sociaux et même sociétaux. Certes le numérique constitue un outil qui va modifier mode de production et le mode de vie mais certainement pas la potion magique pour résoudre tous les problèmes liés à la crise.

      (Par Philippe Manière dans Challenges)

       

       Arrêtons de croire que le monde du numérique est un paradis, où il y aurait moins de négriers ou de cynisme qu’ailleurs. Et cessons de penser que l’ingéniosité industrielle se trouve dans la dernière appli de rencontres pour célibataires. L’engouement des Français, médias en tête, pour ce qu’il est convenu d’appeler l’« économie numérique » et pour ses acteurs, est spectaculaire. Créateurs de start-up « digitales », développeurs d’applis et autres inventeurs de plateformes de partage sont quotidiennement décrits comme l’incarnation de ce génie français qui combine créativité et parfaite maîtrise des sciences et techniques. Parés de toutes les vertus, ces entrepreneurs cool seraient notre meilleur atout pour en finir avec le chômage et retrouver notre rang dans le concert des nations. La vérité est, hélas, un peu plus prosaïque. D’abord, le poids… numérique de cette économie est encore proprement minuscule. On estime à moins de 10 000 personnes la cohorte des Français actifs dans les start-up et PME technologiques – ce qui est bien peu en regard de nos 67 millions d’habitants, 24 millions de salariés et 4 millions de chefs d’entreprise. Quant aux « licornes » qui continuent à se développer sous nos couleurs, on en dénombre 3 – contre 83 aux Etats-Unis, 18 en Chine ou encore 5 au Royaume-Uni. Pas de quoi rêver d’un monde de l’Internet chantant demain la Marseillaise !  Ensuite, l’idée que les entreprises du numérique auraient un code génétique à part et plus social est pour le moins discutable. Il faut n’avoir jamais vu de ces batteries de codeurs disposant chacun d’un « cubicule » aux dimensions correspondant au minimum légal pour s’imaginer que toute start-up « tech » est ontologiquement l’amie du genre humain, et que ses pratiques managériales sont forcément aussi câlines que celles d’un Google offrant à ses salariés de vastes espaces au design soigné pour déguster leur expresso Starbucks payé par la maison. Précisément parce qu’ils sont là pour gagner rapidement de l’argent – ce qui est parfaitement légitime… mais les rend assez peu différents de leurs pairs de la « vieille » économie -, et aussi parce que leur croissance rapide mais saccadée ne leur donne pas beaucoup d’autres choix, nombre de patrons de la nouvelle économie utilisent à plein les possibilités offertes par le CDD et recourent massivement à ces stagiaires et à ces free-lances dont les belles âmes ne manquent pas de dénoncer la précarité dans les autres secteurs. Il n’y a en réalité aucune raison de penser qu’il y a moins de cyniques ou de négriers dans le numérique qu’ailleurs. A ceux qui en douteraient, on rappellera que les géants mondiaux du numérique donnent le la. La manière dont Amazon traite ses salariés a fait l’objet de reportages dévastateurs, de même que les pratiques sociales du principal sous-traitant d’Apple, Foxconn. Et Uber n’hésite pas à imposer de brutales réductions de tarif à « ses » chauffeurs quand bon lui semble. Il est d’ailleurs cocasse que certains contempteurs résolus des excès du capitalisme apportent leur brique à la construction de l’empire Uber au nom du confort personnel que leur procure un chauffeur commandé en un clic. « Et l’aventure humaine ? » nous objectera-t-on. Ne faut-il pas s’incliner devant l’audace de tous ces jeunes qui font fleurir les techniques en prenant tous les risques personnels ? On nous permettra de nuancer. D’abord, s’il y a incontestablement en France des entrepreneurs du numérique ultraméritants qui bouffent de la vache enragée, ce n’est pas – pour paraphraser Audiard – la majorité de l’espèce : on trouve aussi en nombre, dans cette population, des chômeurs-créateurs d’entreprise dûment financés par le contribuable. Ensuite, l’économie digitale est loin de se situer toujours aux frontières de la connaissance. Même salués au désormais fameux CES de Las Vegas, l’appli permettant de repérer un partenaire sexuel potentiel dans la rue, la ceinture connectée qui se desserre au fil du déjeuner ou le réfrigérateur qui commande le jus d’orange tout seul ne révolutionnent pas la pensée occidentale. La vérité est que, du robot assistant la conduite d’une voiture à 130 kilomètres-heure en passant par la chaîne produisant en continu du verre ou des plaques de plâtre, on trouve dans n’importe quelle usine des témoignages autrement puissants de l’inépuisable ingéniosité humaine. Oui, parce qu’il met en relation le monde entier dans un processus de transmission rapide, fluide et (quasi) gratuit, l’Internet est une invention extraordinaire qui a révolutionné et nos manières de travailler et des pans entiers de notre vie quotidienne. Oui, parce qu’il abolit l’espace, il est, pour l’économie dans son ensemble, un facteur de compétitivité et de productivité majeur, et des entreprises remarquables en sont les rejetons. Mais c’est lui faire trop de crédit que d’imaginer qu’il a, aussi, le pouvoir d’abolir les pesanteurs et les turpitudes inhérentes à une économie marchande que, loin de surplomber, il pousse en fait souvent à ses extrêmes. Ne tombons pas dans le piège de je ne sais quel romantisme numérique consistant à faire de la nouvelle économie une catégorie à part frappée au sceau du bien et périmant toutes les autres.

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