France : état d’alerte démocratique (Denis Jeambar)
Dans Challenges Denis Jeambar dénonce l’état de délabrement démocratique du pays. Il souligne en particulier l’effet néfaste de la réduction du mandat présidentiel à cinq ans et les primaires qui polluent la vie politique et la soumet à une obsession électoraliste permanente ; du coup ; les gouvernants naviguent à vue de manière opportuniste sans engager les réformes de fond qui seraient nécessaires. L’analyse de Denis Jeambar n’est pas complètement fausse mais elle est cependant un peu réductrice, on ne saurait en effet attribuer la responsabilité de l’immobilisme français dans tous les domaines à la seule question des institutions. La problématique est en effet beaucoup plus large la crise française est le produit d’un phénomène systémique avec des interactions politiques économiques sociales, technologiques, environnementales et même sociétales. Certes on ne saurait ignorer la responsabilité du monde politique, son fonctionnement et son mode de reproduction, mais bien d’autres éléments sont à prendre en compte comme par exemple l’inadaptation du système éducatif, la responsabilité des parents dans le choix des filières professionnelles, le poids de l’appareil bureaucratique français ou de l’ingénierie fiscale, l’overdose de collectivités locales, la condescendance voir le mépris des Français pour les filières professionnelles manuelles, la culture RTT, le manque de formation économique de beaucoup de responsables et d’une grande partie des Français, l’absence d’une véritable culture de concertation entre les partenaires sociaux enfin la trop grande sensibilité des Français aux promesses démagogiques qui ont conduit par exemple à voter pour trois présidents particulièrement incompétents et aussi primaires que Chirac, Sarkozy ou Hollande. bref la France ne pourra changer seulement par le haut il faudra une interaction entre la base et le sommet, admettre aussi la complexité de la crise. La réflexion de Denis Jeambar dans challenges)
« L’instauration du quinquennat et la procédure nouvelle des primaires y produisent même des effets pervers qui en aggravent la toxicité. Sur le papier, ces deux innovations semblaient constituer un progrès démocratique. Le mandat de cinq ans, a priori, était en phase avec un monde dominé par l’instantanéité. La limitation à deux mandats pouvait, en outre, accélérer le renouvellement du personnel politique et lui apporter un peu d’oxygène. Deuxième levier de modernisation, les primaires devaient à la fois faciliter ce rajeunissement en ouvrant le jeu des candidatures et casser le monopole étouffant des partis en donnant la parole aux électeurs. La réalité est bien différente. L’élection présidentielle est devenue plus que jamais une question obsessionnelle et la seule préoccupation des acteurs politiques. Les gestes de chacun d’entre eux, au pouvoir ou dans l’opposition, à gauche comme à droite, sont dictés par l’unique ambition personnelle, la construction d’image et le positionnement tactique. L’intérêt général passe au second plan dans une élection qui s’apparente de plus en plus à un concours de beauté. Séduire est l’essentiel, convaincre n’est plus de saison. L’urgence triomphe de la durée, donnée pourtant indispensable à l’action politique véritable. Le quinquennat s’est ainsi transformé en une présidence peau de chagrin: premier temps, on découvre le pouvoir et tient des promesses faites en l’air ; deuxième temps, la réalité triomphe, on change de cap, on improvise à toute vitesse et on perd toute crédibilité ; troisième temps, on fait des cadeaux électoraux pour se faire réélire. Résultat, on ne construit rien de durable et de pérenne qui serve les intérêts du pays. La France a connu ce scénario du pire avec Jacques Chirac de 2002 à 2007, puis avec Nicolas Sarkozy et maintenant avec François Hollande. Près de quinze années d’improvisation politique et de cabotage sans vision ni cap qui éclairent la situation du pays et le retard qu’il a pris en tous domaines. Il est de bon ton de dire que les Français sont rétifs à la réforme. Peut-être, mais ce n’est pas en les gouvernant ainsi qu’on peut les exalter. Aucun de nos trois derniers présidents n’a démontré l’efficacité du quinquennat tant chacun a été obsédé par son propre destin électoral et a pataugé dans des difficultés qui exigeaient surtout l’ambition de faire en acceptant le risque de perdre. Cinq années ne sont pas suffisantes pour réformer le pays, surtout avec la durée de l’apprentissage élyséen et le temps consacré aux manœuvres pour une réélection.
Les primaires ne font qu’ajouter à la confusion. Elles installent le scrutin présidentiel sur le devant de la scène deux ans avant qu’il n’ait lieu. On le voit, aujourd’hui, avec la droite. Tout n’est plus que rivalités d’hommes scandées par des sondages quasiment quotidiens. Chaque prise de position n’est dictée que par des calculs électoraux. Les combinaziones deviennent l’essentiel et le travail de fond l’accessoire.
Notre pays s’est ainsi installé dans un jeu de dupes. Sa modernisation politique est une illusion. Le quinquennat et les primaires sont surtout la source d’une hystérie permanente et épuisante qui éclaire les progrès de l’abstentionnisme et le vote désespéré et dangereux pour l’extrême droite. A bien des égards, la France est en état d’alerte démocratique. »
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