Trichet : » environnement financier volatil »
Ancien président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, constate la volatilité des marchés financiers mais exclut la possibilité d’un krach. Pourtant il constate la survalorisation de certains actifs et admet d’une certaine façon la correction en cours. Cependant il n’apporte pas d’éléments très nouveaux quant aux perspectives de sortie de crise se contentant de justifier les mesures prises par la BCE. Certes certains des éléments de son analyse sont pertinents mais il ne valide guère l’efficacité des orientations des banques centrales. De ce point de vue il confirme la perplexité relative aux politiques accommodantes quant à leur impact sur la croissance. (Interview JDD)
Les marchés continuent de chuter lourdement. Est-on à la veille d’un krach?
Nous devons nous habituer à vivre dans un environnement financier extrêmement volatil. Les marchés montent et descendent brusquement en permanence. Certains pensent que nous sommes à la veille d’une nouvelle crise très grave comme en 2007-2008, d’autres y voient la correction des excès passés de valorisation de nombreux actifs. Je pense que cette seconde hypothèse est la plus probable. Mais nous devons tous, gouvernements, banques centrales, parlements et entreprises, être en alerte.
Pourquoi les valeurs bancaires européennes sont-elles massacrées en Bourse alors qu’elles sont en bien meilleure santé qu’en 2008?
Elles se situent au bout d’une longue chaine de turbulences depuis le milieu de l’année dernière. Les marchés se sont d’abord inquiétés de la solidité de la croissance chinoise, puis de la chute des cours du pétrole et des matières premières, puis des risques encourus par les pays producteurs et le secteur énergétique. Aujourd’hui, ils sur-réagissent à l’exposition des banques internationales elles-mêmes au secteur énergétique. L’inquiétude des investisseurs se propage ainsi aux banques nord-américaines qui financent les puits de gaz et pétrole de schiste et aux banques européennes réputées les plus fragiles.
Peut-on écarter le risque d’une nouvelle crise financière et donc d’une récession?
Je ne crois pas à ce scénario. Les banques sont plus solides et plus étroitement régulées qu’avant la faillite de Lehman Brothers. L’économie américaine est repartie depuis longtemps, même si c’est sur un rythme de croissance plus modeste. L’Europe, qui avait pris du retard à cause de la crise des dettes souveraines, a aussi renoué avec la croissance et les pays attaqués ont corrigé leurs déséquilibres budgétaires les plus flagrants.
Les banques centrales ont injecté des tombereaux de liquidités dans l’économie. En ont elles trop fait?
J’ai grande confiance dans les décisions prises par le conseil des gouverneurs de la la Banque centrale européenne. J’ai moi-même décidé dès le 9 août 2007 de déclencher les premières mesures non conventionnelles en injectant 95 milliards d’euros de liquidités dans le système monétaire qui ne fonctionnait plus. La Réserve fédérale américaine tout comme la BCE ont pris des mesures extrêmement audacieuses pour stabiliser nos économies et éviter une déflation et une dépression comparables à celles de 1929. Le fait que ces politiques très accommodantes continuent partout dans le monde, y compris dans une large mesure aux Etats-Unis, soulève un véritable malaise aujourd’hui. Mais on aurait tort de croire que les banquiers centraux ont perdu la raison! S’ils gardent ce cap c’est parce que nos économies continuent de fonctionner spontanément de façon très anormale.
Pourtant, on leur reproche d’avoir fait intérêt en territoire négatif ce qui lamine les marges des banques et appauvri les particuliers, de ne pas avoir fait revenir la croissance ou remonter l’inflation et d’avoir créé des bulles immenses sur les marchés.
Nous n’avions guère le choix. Si les banques centrales n’avaient pas pris de telles mesures nos économies pourraient être en déflation. C’est à dire que tout le monde attendrait pour consommer ou investir, nous serons en récession et l’endettement réel ne cesserait d’augmenter. Ce serait mortel pour nos économies. La croissance est revenue en zone euro en 2014 et 2015. Elle reste très insuffisante et il est difficile de chiffrer l’impact positif des politiques monétaires mais la croissance réelle serait évidemment plus faible sans elles. L’inflation reste trop faible mais il est probable qu’elle serait négative si les Banques Centrales n’avaient rien fait. Bien sûr, toutes ces mesures peuvent favoriser des bulles spéculatives. C’est pourquoi les banquiers centraux demandent aux Etats de remettre de l’ordre dans leurs économies de manière à ne pas être contraints de prendre des mesures qui ont des effets dangereux à terme.
N’ont-elles pas au final donné du temps aux gouvernements pour rien, puisqu’ils n’ont pas engagé les réformes structurelles attendues?
La critique serait justifiée si les banques centrales n’avaient pas prévenu les Etats qu’il fallait, dans le même temps, qu’ils engagent des réformes de fond pour redresser leurs économies. J’ai été, et Mario Draghi depuis 2011, très clair sur ce point. Nous n’avons jamais voulu donner du temps pour ne rien faire aux Etats et aux autres partenaires publics et privés. Le problème c’est que la plupart des gouvernements et des parlements dans les pays avancés n’ont pas fait les réformes nécessaires.
Quelles réformes la France doit-elle engager?
Nous sommes un pays paradoxal. Aujourd’hui, nous avons un quasi consensus au sein des grandes sensibilités politiques de gouvernement sur au moins trois points : nos dépenses publiques doivent diminuer, notre économie a encore beaucoup trop de rigidités et nous ne sommes pas assez compétitifs. Ce qui freine les réformes indispensables c’est la défense acharnée des intérêts acquis dans beaucoup de domaines.
Quelles seraient trois réformes prioritaires pour la France?
Se fixer comme objectif sur dix ans la réduction de 10% du PIB des dépenses publiques comme l’a fait la Suède, de manière à revenir au niveau de l’Allemagne, rendre le marché du travail plus flexible en s’inspirant des modèles néerlandais, danois ou allemand qui ont fait la preuve de leur efficacité et pratiquer une politique de modération générale des coûts et des prix comme nous l’avions fait de 1982 à 1999. Rappelons qu’en 1999 la France avait moins de chômage que l’Allemagne et un excédent de la balance des paiements courants quand celle-ci était déficitaire.
De quels autres outils dispose encore la BCE pour relancer l’activité?
J’ai confiance dans le conseil des gouverneurs pour prendre les bonnes décisions en pesant avec soin les avantages et les inconvénients de toute action dans un environnement si difficile.
L’objectif de la BCE d’obtenir une inflation autour de 2% introduit dans les années 80 a-t-il encore un sens aujourd’hui?
Dans les années 2000, on nous recommandait d’avoir un objectif de 4%. Aujourd’hui, certains voudraient que l’on se fixe un objectif de stabilité des prix à 0%. Je persiste à croire qu’il nous faut un ancrage aussi stable que possible autour de 2%. Et je remarque que la Fed et la banque du Japon nous ont rejoint sur ce point non pas dans les années 80 mais tout récemment en 2012 et 2013 !
La sortie de l’euro un temps envisagée pour la Grèce est-elle possible?
Nos démocraties politiques sont exemplaires et peuvent tout décider. Mais ce serait une erreur stratégique pour l’Europe. Le peuple grec confronté à cette éventualité a manifesté avec force son opposition à une sortie de la zone euro. Nous avons décidé de rester ensemble dans des circonstances extrêmement difficiles pendant la crise la plus grave que nous ayons connue depuis la seconde guerre mondiale. Nous étions 15 pays membres en 2008 et quatre nouveaux Etats nous ont rejoint en pleine crise sans qu’aucun ne nous quitte. C’est un symbole fort. Il ne faut jamais sous-estimer la force de l’entreprise historique qui nous unit depuis 66 ans.
0 Réponses à “Trichet : » environnement financier volatil »”