Crise agricole : la FNSEA responsable (Périco Légasse)

Crise agricole : la FNSEA responsable (Périco Légasse)

 

Périco Légasse rédacteur en chef de la rubrique vin et gastronomie à l’hebdomadaire Marianne dénonce l’hypocrisie de la FNSEA dans une interview du Figaro.

 

La FNESA responsable ?

 

 

Xavier Beulin, président de la FNSEA, le syndicat majoritaire majoritairement est  responsable de l’effroyable situation dans laquelle se trouve l’agriculture française. Etant sur place, j’ai assisté à la scène. Il y avait quelque chose d’ubuesque à voir une forêt de drapeaux, à l’enseigne du syndicat fossoyeur, accueillir le médecin légiste pour pleurer sur le cadavre de leur victime commune. Car si François Hollande appartient à un parti qui a systématiquement promu et voté, comme la droite et le centre, François Bayrou en tête, les politiques agricoles qui envoient nos paysans dans le mur depuis 40 ans, il y avait une sacrée dose de cynisme de la part de Xavier Beulin, PDG de la multinationale Avril (ex Sofiproteol), équivalente, sur le plan agro industriel, de ce que Michelin est sur le terrain pneumatique, à jouer le représentant des éleveurs ruinés. Disons qu’il n’en est pas vraiment représentatif.

 

 

En quoi cela est-il contradictoire?

Xavier Beulin est à la tête d’un empire industriel qui, non seulement n’a plus rien d’agricole au sens originel du terme, mais favorise un système économique qui, de surcroît, éradique la vraie agriculture. Contesté par sa base, discrédité auprès de ses adhérents pour avoir longtemps possédé des usines où l’on transforme du poulet industriel brésilien (tout en envoyant des commandos de la FNSEA pour protester contre les importations de volailles mettant à mal la filière française), le président Beulin faisait penser à un incendiaire traitant le marchand d’allumettes de pyromane. Après quoi ils sont allés se promener sous les huées, adressées à l’un comme à l’autre.

N’est-il pas un peu facile de faire porter le chapeau à la FNSEA quand on sait la complexité des enjeux et des rapports de force pour ce qui est des questions agricoles?

Bien entendu que la FNSEA n’est pas seule coupable. Il y a d’ailleurs au sein de ce syndicat, notamment des fédérations départementales (FDSEA), des adhérents qui ne partagent pas la stratégie nationale et se sont battus pour empêcher les dérives ayant conduit à la tragédie actuelle. La FNSEA n’est pas un bloc. Au moment de succéder à Luc Guyau, en 2001, deux candidats s’opposèrent lors de l’élection à la présidence du syndicat, Jean-Michel Lemétayer, continuateur de l’option productiviste, représentant des éleveurs, et Dominique Chardon, porteur d’une vision nouvelle de l’agriculture soucieuse de respect environnemental, producteur bio dans le Gard. Le premier l’emporta. En 2010, ce fut la victoire du lobby céréalier, avec Beulin. Sans oublier le trio mortel Crédit Agricole – MSA (Mutualité sociale agricole) – Chambres d’Agriculture où parfois les mêmes dignitaires siègent dans les trois instances. Dignitaires souvent affiliés à… la FNSEA. Simple coïncidence. L’autre fléau éradicateur est la grande distribution, ennemi public n°1 de l’agriculture et, à ce niveau de détérioration du marché, de l’économie française. Il serait toutefois trop facile de n’incriminer que les institutions. Quand il en a les moyens financiers, et qu’il ne change rien à ses mœurs alimentaires dans le sens d’une attitude responsable et citoyenne, le consommateur participe aussi à l’effondrement de notre patrimoine agricole. D’où l’urgence, on ne le répètera jamais assez, d’une information civique pour les adultes sur les enjeux de consommation et une éducation du goût pour les générations qui constitueront la clientèle de demain.

La démission de François Hollande changerait-elle quelque chose à la situation. Le président de la République et l’exécutif paient-ils pour l’incurie de leurs prédécesseurs?

La démission du Président de la République Française ne changerait pas grand chose à la situation en ce sens que les leviers fondamentaux, dont nous avons accepté de perdre le contrôle en matière de politique agricole, sont aujourd’hui actionnés à Bruxelles. Par ailleurs il est vrai que l’exécutif actuel hérite de quarante années de fourvoiements et de mensonges. Le plus grand criminel étant Jacques Chirac qui a réussi à faire croire qu’il était le sauveur des agriculteurs en instituant un système d’assistanat total subventionné par le contribuable allemand à travers la PAC. Joli coup, en terme tactique, pour régler une carence ponctuelle, mais désastre en terme stratégique, quand on installe, de façon structurelle, une activité économique fondamentale pour la nation dans une logique de subsides généralisés. Tout fut calqué et poursuivi sur ce principe quelle que soit la majorité au pouvoir. Pour résumer, à la façon du proverbe chinois, on a donné un poisson à manger à l’agriculteur français au lieu de lui apprendre à pêcher.

 

Le nœud du problème est-il européen?

Je ne dirai pas cela comme ça. L’Europe, en soi, n’est pas une tare, au contraire. Elle est même l’unique solution porteuse d’espoir pour notre l’agriculture, dans un vrai marché commun soumis à une concurrence libre et non faussée privilégiant d’abord les intérêts communautaires. La vraie grande Europe c’est l’Europe en priorité et le monde ensuite. Tout le contraire de ce qui a été mis en place. Tel est l’esprit originel du Traité de Rome et je ne désespère pas que le chaos vers lequel nous nous dirigeons à grands pas nous y ramène un jour si nous ne voulons pas «l’Euroexit», comprenez la sortie de l’Union Européenne de l’histoire. La Commission de Bruxelles est devenue une plaie. Le roumain Dacian Ciolos fut un bon commissaire à l’agriculture et au développement rural. Son départ en 2014 fut un grand soulagement pour les lobbys. Aujourd’hui le cancer de l’Union européenne est le clan atlantiste qui agit au sein des institutions. Les conditions de la négociation sur le Traité transatlantique (document tenu secret, consultable à certaines heures sur autorisation sans pouvoir faire de copie ni le traduire), sont hallucinantes. Le silence qui entoure ces tractations conduites pas des gens sans mandats ni représentativité prouve que quelque chose d’illicite se trame entre Bruxelles et Washington. A Paris, le thème est tabou quand on questionne le sommet de l’Etat: «Ne vous inquiétez pas, ça ne pourra pas aboutir, l’Allemagne s’y opposera». Pour le coup, ce TAFTA est une grosse météorite américaine qui peut un jour nous tomber dessus.

 

Faut-il commencer par rétablir les quotas laitiers? Si ses partenaires, singulièrement l’Allemagne, refusent d’entendre, la France doit-elle agir unilatéralement?

Disons que ce fut une erreur de les supprimer même s’ils n’étaient, quand même, qu’un montage artificiel destiné à réguler le marché, donc en aucun cas une solution définitive. La vraie solution c’est que le marché français achète et consomme du lait français de vaches françaises en le payant à son juste prix à son producteur, pas à la coopérative collectrice ni au distributeur racketteur. La formule peut sembler simpliste. Elle est pourtant la seule solution cartésienne, efficace, équitable et légitime. Pour le reste, il était convenu que l’Allemagne se garde le rôle de grande puissance industrielle et la France celui de grande puissance agricole. Ainsi les vaches gauloises et les boulons teutons eussent étaient bien gardés. Mais notre amie et alliée la chère, très chère panzer chancelière en a décidé autrement et la République Fédérale est devenue aussi la première puissance agricole européenne avec des méthodes d’une déloyauté sans nom, au mépris total des grands équilibres européens. A commencer par l’emploi de travailleurs Roumains, Bulgares ou Polonais soumis à la législation sociale des travailleurs détachés dans des usines à viandes dont le prix de revient ruine nos producteurs. Les Allemands fonctionnent au diktat. Adenauer réveille toi, elle est devenue folle!

 

Que pensez-vous de la réaction de Stéphane Le Foll au lendemain de la visite nocturne surprise dominicale des agriculteurs?

En tant que patron du salon, il l’a mal vécu, et c’est normal. Réaction légitime de quelqu’un ayant lui même été éprouvé lorsque des manifestants sont venus l’interpeler chez lui, un dimanche soir.

Sur cette question, je vais être solennel et catégorique: je ne partage pas tous les propos de Stéphane Le Foll quand il aborde certains enjeux agricoles, je n’approuve pas toutes les décisions qu’il prend concernant les filières de production, et personne ne peut me soupçonner de la moindre collusion politique avec le porte parole du gouvernement Valls, mais j’affirme ici qu’il est le plus grand ministre de l’Agriculture que la République Française a eu depuis longtemps. Une pensée pour Philippe Vasseur, Jean Glavany et Michel Barnier, qui furent aussi de très bons ministres. Stéphane Le Foll montre une compétence indéniable et connaît ses dossiers comme nul autre. Sans emprunter la langue de bois à quiconque, je pense qu’il ne peut pas tout et, lorsqu’il le peut, d’autres ne lui permettent pas de le décider. Il a la marge d’un gouvernant français dans l’Europe de 2016 et il doit faire des choix souvent douloureux. Point. Je l’ai dit et écrit maintes fois, ici et ailleurs, son projet de faire de la France le leader de l’agroécologie européenne, et les mesures installées en ce sens, sont un événement considérable. C’est même un tournant historique majeur dans l’histoire de l’agriculture française depuis la loi de modernisation d’Edgard Pisani en 1964. Il faut y aller encore plus fort, car c’est la seule voix du salut pour nos agriculteurs.

 

Vous êtes bien le seul à prendre la défense du ministre.

Bien sûr, c’est insuffisant, bien sûr, les choses peinent à se mettre en place, mais vu l’hostilité maladive des responsables de la FNSEA vis à vis de cette grande idée, on comprend pourquoi. Cette animosité est d’ailleurs la meilleure preuve que l’agro écologie est une avancée vers une situation où l’agronomie et l’écologie combinées permettront à la France de redevenir la puissance agricole florissante qu’elle fut.

Aussi, l’offensive nocturne à son domicile du Mans, et les actes qui s’en suivirent, sont injustes. Ils laissent une sensation de malaise pour ceux qui croient à la confrontation politique dans la loyauté et la dignité. Stéphane Le Foll ne se comporte pas comme un dignitaire et use d’un minimum de protection pour sa sécurité personnelle. Il voyage en deuxième classe dans le train et tout le monde peut l’approcher pour discuter avec lui. Avoir abusé de cette facilité n’est pas digne de paysans, même à bouts de nerfs. Peu de voix se sont élevées pour dénoncer la méthode. Samedi matin sur le salon, j’ai entendu des insultes d’une violence inouïe proférées à son endroit, et, malgré toute la sympathie et la solidarité active que je porte à la cause paysanne, j’ai trouvé tout simplement dégueulasse de le traiter ainsi. Un jour on reconnaîtra, avec toutes les réserves que l’on veut, le bien qu’il a fait à la France. Je le dis sans ambages. Au cas où certains s’étonneraient de cette position et supposeraient quoi que ce soit, il ne me doit rien et je ne lui dois rien. C’est une question de valeurs.

La colère des agriculteurs traduit-elle plus largement la coupure entre les élites et le peuple, le choc entre deux mondes qui n’ont plus rien en commun?

Pas seulement. Je dirais même entre deux conceptions de la France. Dans un paradoxe très intéressant, en ce sens que la préservation du monde de la terre peut avoir une connotation maurassienne alors qu’elle est aussi le combat des écologistes de gauche. Ce en quoi je pense que l’écologie est un conservatisme puisqu’il s’oppose au progrès en tant que source de dégâts sur l’environnement. D’où les contradictions et confusions dans certains partis. En même temps, une certaine agriculture croit en son émancipation par l’adoption de méthodes modernes, intensives et lucratives, qui la détournent du caractère socio patrimonial de son activité. Auquel cas il fait passer le durable au deuxième plan puisque le marché refuse de lui payer les deux. Nous sommes aujourd’hui en surproduction pour une offre limitée ou en panne. Seule issue, produire moins mais mieux. Il y a donc l’agriculteur qui ne veut pas redevenir paysan et il y a le paysan qui ne veut pas redevenir agriculteur. Celui qui aime labourer avec guidage satellite et celui qui aime labourer avec les pieds sur terre. Pas seulement deux mondes, mais deux civilisations qui s’opposent. Cette fracture est au cœur de la tragédie rurale que nous vivons depuis vingt ans. Vient ensuite se greffer la vision des urbains sur cette détresse. Un temps considéré comme un pollueur, geignard, assisté, le paysan est enfin perçu comme celui sans lequel nous ne serons plus rien. L’avenir de la planète est entre ses mains. Donc de la civilisation. Et cet avenir sera ce que nous ferons de lui, un pompeur de sol pour manger vite et pas cher ou un préservateur qui permet de s’asseoir autour de la table avec une nourriture bonne, propre et juste. Quelqu’un qui est sur Terre uniquement pour produire et conquérir des parts de marché subventionnées ou quelqu’un qui est là pour nous nourrir, en gagnant sa vie par le fruit de son travail justement rétribué. Les lois de la nature, paramètre inaliénable quand on approche les 7 milliards d’habitants, ne se satisferont pas de celles de la croissance obligatoire illimitée. Et là, c’est le paysan, et sa gestion des ressources, qui détermineront le sort de l’humanité. La société saura bien vite quel choix faire si elle veut sauver ses enfants.

 

La révolte des agriculteurs peut-elle être l’étincelle qui conduira à un mouvement de contestation national? Peut-il y avoir fusion des luttes?

Je ne le pense pas. Les grands séismes sociaux sont généralement urbains. La population rurale n’a plus assez de poids démographique, ce qui est un drame en soi, pour provoquer un tel séisme. En revanche, solidaire, résistante et bien coordonnée, la colère paysanne peut bloquer le pays, voire plus si affinités avec d’autres secteurs de la société indignée. Il faudrait pour cela un dénominateur commun. Les incompétences cumulées de la classe politique et son art de faire voler les bourdes en escadrilles pourraient bien être ce dénominateur. Les conditions du grand soir ne semblent cependant pas encore réunies, ce qui n’empêchera pas ce gouvernement d’avoir des petits matins douloureux si la vache enragée continue à ruer dans les brancards. L’urgence des urgences, à cette heure, et de redonner sa fierté à la paysannerie française. Et cela passe par des décisions courageuses.

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