Un krach rampant (Jean Yves Archer)
Jean-Yves Archer, économiste., considère que au-delà des mouvements de yo-yo boursier la crise est loin d’être terminée et qu’il entre même dans une nouvelle phase (interview Le Figaro)
Le krach rampant de janvier 2016 est un fait. Il parle directement aux épargnants ou aux investisseurs institutionnels dont les portefeuilles vont porter les stigmates de lourdes dépréciations. Par-delà l’habituel jeu de yo-yo boursier. Si la crise de 2008 était difficile à prévoir car nul n’imaginait l’ampleur de la dissémination de produits toxiques dans différents compartiments d’épargne, il était franchement inconcevable de penser que l’on laisserait choir – de manière inconséquente – un établissement du format de Lehman Brothers. En conséquence, peu d’analystes auraient été en situation d’imaginer la thrombose qui a atteint le marché interbancaire.
1) Or, premier point de constat: la défiance interbancaire persiste. Elle est attestée par les volumes de liquidités que les banques commerciales confient quotidiennement aux banques centrales de 2016, méfiantes qu’elles sont de la réalité de leurs concurrentes. Elles préfèrent un taux négatif au risque interbancaire ce qui en dit long sur leur propre analyse de la situation concrète.
2) La création monétaire issue de l’activité de crédit des banques demeure grippée. L’incertitude du prêteur quant à la qualité de ses contreparties, alliée à des normes sectorielles probablement élaborées trop drastiquement induisent un resserrement du crédit et un étranglement de l’économie réelle. Les statistiques avancées sont souvent trompeuses: on nous dit qu’il n’y a pas de «credit-crunch» mais on omet de citer loyalement la multitude de cas où les demandes de prêts à faible occurrence d’aboutissement ne sont pas prises en compte. Idem pour l’autocensure des dirigeants qui ne vont pas jusqu’à formuler leurs demandes. Seules des personnes du rang de l’ancien gouverneur de la Banque de France Christian Noyer (déclaration écrite du 5 Juillet 2014, Aix-en-Provence) ont eu la lucidité et la témérité d’un discours de vérité.
3) Face à ce blocage du monde du crédit, il a été inventé la notion de «quantitative easing «(QE) qui donne aux banques centrales la mission de procéder à des rachats d’actifs moyennant une injection de liquidités. Sorte de pompe à morphine erratique, cette politique pose question. D’une part, la qualité des actifs éligibles à la politique de rachat ne manque pas d’inquiéter (voir future réunion de la BCE de mars prochain). D’autre part, la transmission verticale supposée de ces liquidités vers des projets tangibles de l’économie réelle a sous-estimé le prisme filtrant des banques souvent en quête de restauration de la qualité de leurs comptes, engagements hors-bilan inclus.
4) Désormais, facteur aggravant, c’est bien le statut de la création monétaire qui est en jeu. Cela n’a rien à voir avec une crise financière et une dépréciation sous oscillations de diverses valeurs sur les marchés. Il s’agit d’une inquiétude sur la pierre angulaire du système capitaliste que constitue la monnaie d’où les tensions présentes entre les devises phares.
On a tué la valeur de la rémunération de l’argent par la diffusion massive de taux epsilon voire négatifs: le système l’a intégré et nous lance au visage un boomerang nommé déflation découlant des trappes à liquidités ainsi générées.
5) Des milliards injectés par le QE n’ont pas fait repartir la moindre dynamique inflationniste et tel est bien le défi pour Mario Draghi ou son homologue nippon. C’est une illustration incontestable de la virulence des forces déflationnistes qui nous menacent désormais.
6) W. Rostow a démontré les grandes étapes de la croissance économique. La Chine n’échappe pas à sa grille de lecture qui remonte pourtant à plus d’un demi-siècle. Comme avant 1929, aux Etats-Unis, les bourses asiatiques ont connu une folle embellie. Pour douloureux que cela puisse être, la correction s’imposait mais n’a pas ramené aux niveaux de départ. Il demeure donc un enrichissement net possible contrairement à une place comme Paris dont les 4000 points sont un lourd coup de canif patrimonial, donc une destruction de valeurs.
7) S’agissant de destruction de valeurs, il y a une autre question centrale: jusqu’à quel seuil l’euro suscitera-t-il de la confiance (monnaie de réserve) alors que le bilan joufflu de son Institut d’émission – la BCE – ne le justifie déjà probablement plus?
8) En économie, chaque valeur se situe dans ce que je nomme un «tunnel de conformité «: en-deçà d’un certain prix, les inconvénients l’emportent sur les avantages initiaux de l’acheteur. Tout le monde a exulté face à un baril de pétrole à 35 dollars, désormais on dénombre des faillites de producteurs de gaz de schistes (et une bulle corrélative d’endettement aux Etats-Unis) et des difficultés lourdes chez certains pays émergents ou chez Technip et Vallourec.
Concrètement, une excessive spirale baissière des valeurs est un gain à court terme qui n’écarte pas l’orage à moyen terme.
9) La formidable révolution numérique qui tord chaque jour davantage le cou du mythe grognon de la stagnation séculaire (et nous impose de revoir les fondements de nos agrégats nationaux pour repérer la nouvelle croissance) s’accompagne d’une remise en cause de bien des chaînes de valeur, tous secteurs confondus. Ceci, dans un premier temps, présente un versant déflationniste et là encore une compression des marges. C’est un point systémique: c’est un cap délicat à franchir qui contribue, paradoxalement, à l’intensification de la crise qui est un conglomérat de «destructions créatrices» (Schumpeter).
10) Depuis 1911, Irving Fischer a établi une célèbre équation: MV = PT où le volume des transactions ( T ) et la vitesse de circulation ( V ) sont donnés, le niveau des prix (P ) est alors déterminé par le stock de monnaie (M ). En ce moment précis, le stock de monnaie est inflationniste et la vitesse de circulation monétaire très accrue. Idem pour le volume des transactions à l’heure du «shadow banking» ou autre trading haute fréquence. C’est alors le niveau des prix qui devient le maillon faible à titre systémique d’où le ressort déflationniste.
11) A telle enseigne qu’un consensus se dégage désormais pour corriger à la baisse les prévisions de croissance pour 2016. Clairement ou de manière graduelle, quasi-impressionniste, selon les institutions émettrices.
Dès le 16 septembre 2015, l’OCDE ramenait sa prévision de 1,7% à 1,4%. (Pour 2016). Chiffre repris à la décimale près par la Commission européenne en date du 5 novembre. Tandis que Bruxelles pointait du doigt nos futures maigres performances en matière de chômage et de déficit public (février 2016). Tabler sur des recettes fiscales générées par 1,5% de taux de croissance en 2016 (hypothèse du Projet de Loi de finances) est infondé ce que ne démentent pas, dans des cénacles privés, certains membres du HCFP. (Haut-Conseil des Finances Publiques). Les décideurs publics, à défaut de talent, pourraient manifester de la vertu : en France, ils ont opté pour une politique attentiste et fait adopter un budget qu’ils savaient déjà caduc à la lumière des spasmes de récession qui concernaient, dès l’automne, la Russie, le Brésil et la Chine.
Vauvenargues a su écrire: «Pour savoir ce qu’il faut faire, il faut du génie. Pour savoir comment le faire, il faut du talent. Pour le faire, il faut de la vertu.»
La violence de la mutation économique en cours de déploiement supposerait bien une once de génie. Mais la théorie économique est muette face aux présentes politiques non-conventionnelles des Banques centrales d’où l’embarras manifeste de la FED. Les décideurs publics, à défaut de talent, pourraient manifester de la vertu: en France, ils ont opté pour une politique attentiste et fait adopter un budget qu’ils savaient déjà caduc à la lumière des spasmes de récession qui concernaient, dès l’automne, la Russie, le Brésil et le repli conjoncturel chinois dont l’ampleur exacte est, pour l’instant, indéchiffrable. Huit ans après le début de la crise, nous allons vers une autre séquence d’épreuves: c’est hélas peu contestable.
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