Comme en 2015 l’année 2016 ne sera pas rose (Fabius)

Comme en 2015 l’année 2016 ne sera pas rose (Fabius)

Dans sa dialectique très diplomatique Laurent Fabius qui s’apprête peut-être à rejoindre le conseil constitutionnel prévoit une année 2016 sans doute aussi complexe et difficile que l’année 2015. Dans son style très policé Fabius constate toutes les limites aussi bien de COP  21, que du fonctionnement européen ou encore de la lutte, contre le terrorisme. En creux une sorte de vision nettement moins optimiste que celle de Hollande concernant 2016 qui pour Fabius risque sans doute d’être  marquée comme en 2015 par l’imprévu !

 

Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du Développement international a reçu Challenges au Quai d’Orsay le 21 décembre dernier, une dizaine de jours après la signature à Paris de l’accord sur le climat, dont il fut le principal artisan.

Challenges. La fin d’année 2015 a été marquée par deux événements majeurs à Paris, les attentats et la tenue de la COP21. Le monde sera-t-il le même en 2016 ?

Laurent Fabius. En un an, les tendances de fond ne changeront pas. Notamment, ces deux risques majeurs que sont le terrorisme et le dérèglement climatique. Ces périls sont d’une nature très différente, mais ni la pollution ni le terrorisme ne s’arrêtent aux frontières : dans les deux cas, la réponse doit donc être mondiale. Dans la lutte contre le terrorisme, l’unité de la communauté internationale est une condition de l’efficacité : il faut non seulement qu’aucun Etat ne soutienne les terroristes, mais que le plus grand nombre possible d’entre eux agisse pour les éradiquer, avec des décisions de souveraineté qui impliquent, le cas échéant, l’engagement de leurs forces. La lutte contre le changement climatique est d’un autre ordre : elle nécessite que les Etats et les sociétés civiles appliquent les engagements qu’ils ont pris, mais il n’existe pas – en tout cas, pour l’instant – de sanction pénale en cas de non-respect. Seuls jouent la pression nationale et internationale et le risque « réputationnel ».

En quoi l’accord sur le climat est-il historique ?

Parce qu’il est le premier accord climatique du monde et pour le monde. Tout n’a pas été réglé lors de la Conférence de Paris, mais il y aura un avant et un après-Paris. La COP21 a permis l’adoption d’un accord universel et ambitieux. C’est sans précédent et cela constitue un acquis considérable, pas seulement dans le domaine environnemental, mais dans de nombreux domaines, y compris la recherche de la paix : il n’est pas si courant de voir les représentants de 195 pays s’embrasser à l’issue d’une conférence internationale, et encore moins d’une conférence sur le climat ! D’autre part, au-delà même de l’accord entre Etats, la COP21 a permis le basculement d’un nombre considérable d’acteurs non gouvernementaux – entreprises, collectivités locales, ONG, citoyens – vers le développement bas carbone. L’accord engage le monde entier dans une dynamique irréversible de développement durable. Un seul exemple : quand l’agence de notation Standard & Poor’s, qui n’est pas un organisme philanthropique, décide de pénaliser les entreprises ou les pays n’ayant pas pris en compte le risque climatique, c’est le signe qu’un tournant s’opère. Nous allons vivre un changement profond de modèle économique. Le fondement même de ce qui a constitué le développement industriel depuis le XIXe siècle est en train de muter.

Comment va l’Europe ?

Pas très bien, et 2016 pourrait bien être pour l’Union européenne l’année de tous les dangers. Croissance économique languissante, mouvements migratoires massifs qui posent des défis politiques considérables, forces de dissociation à l’œuvre : je pense au référendum sur la sortie de l’Union prévu cette année au Royaume-Uni, ou encore à la montée des populismes nationaux et des souverainismes régionaux. A cela s’ajoute la situation ukrainienne, qui n’est toujours pas réglée malgré les efforts de la France et de l’Allemagne. Et je n’oublie pas les questions fondamentales concernant le projet européen : faut-il intégrer davantage ? Si oui, dans quelles conditions ? Tout cela crée une situation instable, alors qu’une Europe forte, unie, avec un projet clair, serait indispensable dans notre monde incertain et dangereux. L’enjeu ne consiste pas seulement à empêcher une dissolution de l’Europe, mais à faire en sorte que l’Union mène une politique cohérente, notamment vis-à-vis de l’Afrique et du Moyen-Orient, qu’elle construise une véritable politique de défense et de sécurité, qu’elle prépare la croissance de demain avec des priorités claires : transition énergétique, technologies vertes, économie numérique, emploi des jeunes. Beaucoup de travail reste à accomplir.

Le problème a été traité avec efficacité. Il faut en féliciter notamment la Banque centrale européenne et son président, Mario Draghi. A l’étranger, on m’interroge désormais moins sur l’avenir de l’euro et davantage sur l’avenir de… l’Europe.

Quelle est la priorité sur votre feuille de route européenne ?

Sur des questions essentielles, comme les migrations, le référendum britannique, l’Ukraine, le traité transatlantique, une position franco-allemande commune est souhaitable pour entraîner l’ensemble de l’Union : avec l’Allemagne, nous devons rester unis face aux crises et aux menaces.

Le traité économique transatlantique va-t-il être signé un jour ?

Pour l’instant, et je le regrette, les négociations n’avancent guère. Par exemple, sur la question majeure de l’ouverture réciproque des marchés publics, on ne constate aucun progrès. Il n’y aura d’accord que si chacun y trouve son compte : l’accord transatlantique sera gagnant-gagnant, ou ne sera pas.

Le « printemps arabe » fête ses 5 ans, quel bilan ?

Au départ, le point commun a été une aspiration des peuples à la liberté, mais les suites ont été très diverses, et il est difficile de dresser un bilan compte tenu de la variété des situations. En Tunisie, la transition démocratique a été opérée. En Syrie, une révolte de quelques étudiants a été réprimée de telle façon par Bachar al-Assad qu’aujourd’hui il y a plus de 250 000 morts. L’Egypte est passée par plusieurs phases. Je pourrais continuer l’énumération… Aujourd’hui, outre la Syrie et le Yémen, notre principale préoccupation concerne la Libye. Ses richesses attirent les convoitises, les armes y circulent sans contrôle, cependant que de plus en plus de terroristes y trouvent refuge. Il est indispensable qu’après l’accord signé en décembre le nouveau gouvernement s’affirme, et dispose des moyens suffisants pour assurer la sécurité du pays et éradiquer les terroristes. Une dégradation de la situation aurait des conséquences graves, notamment sur la Tunisie et le Sahel, mais aussi sur l’Europe. Un autre danger majeur au Proche et au Moyen-Orient concerne le conflit israélo-palestinien : faute d’avancées, il y a là un potentiel d’embrasement.

L’effondrement des cours du pétrole va-t-il avoir des répercussions géostratégiques ?

Les répercussions sont lourdes sur de nombreux pays. Pour m’en tenir aux économies exportatrices du Moyen-Orient, la baisse des prix enregistrée depuis la fin de l’été 2014 entraîne des modifications profondes mais pas homogènes. Les pays les plus touchés sont ceux qui ne peuvent compenser l’effet-prix par l’effet-volume : Irak, Bahreïn et, dans une moindre mesure, Oman. L’Arabie saoudite et l’Iran sont touchés, mais disposent à des degrés divers des marges nécessaires. Enfin, certains ne sont que modestement affectés, comme le Koweït, le Qatar et les Emirats. Quelles que soient les situations, les conséquences sont multiples : plutôt positives pour les importateurs, comme la France, négatives pour les producteurs-exportateurs – à cela près que ce déséquilibre pourrait ensuite, par contrecoup, affecter… notre propre croissance.

Avec un baril à 35 euros, les énergies renouvelables ne sont plus du tout compétitives, dommage pour le climat…

On devrait mettre à profit cette baisse pour diminuer, comme le propose l’OCDE, les subventions considérables aux énergies fossiles et encourager les renouvelables, dont les prix se réduisent. Les investissements massifs et croissants dans la R&D pour les énergies propres vont créer des ruptures technologiques qui rendront ce type d’énergies très compétitives. Elles seront au cœur du mix énergétique de demain.

Qu’espérer des Etats-Unis en campagne présidentielle ?

En règle générale, cette période n’encourage pas les initiatives fortes. En outre, au sein même de la population américaine, les contradictions ne manquent pas. D’un côté, certains reprochent au président un manque de leadership extérieur, mais, d’un autre côté, il existe au sein même du pays une « war fatigue », une lassitude face aux interventions extérieures, qui s’explique par ce qui s’est produit en Afghanistan et en Irak. Quelle que soit l’attitude des Etats-Unis dans les mois à venir, on doit saluer l’engagement du président Obama dans la lutte contre le changement climatique : son soutien comme celui de la Chine ont été précieux pour le succès de la COP21.

La Réserve fédérale monte ses taux, la BCE continue d’assouplir sa politique monétaire, va-t-on vers une guerre des changes ?

Je ne le pense pas. Mario Draghi, le président de la BCE, et Janet Yellen, la présidente de la Réserve fédérale américaine, sont compétents et habiles. Des concertations ont lieu entre les grandes banques centrales. J’ajoute que la Chine, qui préside le G 20 en 2016, projette d’engager des discussions sur la diversification du système monétaire mondial afin de lui assurer une plus grande stabilité – objectif soutenu par la France.

Le ralentissement chinois est-il inquiétant ?

C’est un ralentissement relatif. La croissance en Chine est maîtrisée par les autorités chinoises, qui souhaitent rééquilibrer l’économie vers plus de consommation intérieure, mais aussi vers une économie moins carbonée, moins polluante. Dans mes fonctions, je rencontre de nombreux dirigeants, ceux de Pékin font incontestablement partie des plus compétents sur le plan économique.

Concernant l’évolution de la croissance mondiale, quel est votre scénario ?

A court terme, on prévoit une certaine faiblesse en Amérique du Sud, dans une partie de l’Asie et de l’Europe ; mais à moyen terme, il existe de puissants réservoirs de croissance. Le continent africain, par exemple, dispose d’un formidable potentiel : il occupera une place importante dans la croissance mondiale des années à venir, nous devons nous y préparer. Les développements technologiques futurs constituent, eux aussi, un énorme réservoir de dynamisme économique. Dans ces deux cas, la France a un rôle particulier à jouer, et elle est bien placée pour être un hub du XXIe siècle. Notre diplomatie économique, qui est active, y contribue.

Justement, l’économie française, quand va-t-elle se réveiller ?

Nous possédons énormément d’atouts. La question est de savoir quand les résultats se manifesteront pleinement. En tout cas, les réformes pour mettre en valeur ces atouts doivent se poursuivre.

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