Montée de l’extrême droite, pourquoi ? (François Lafond)
Interview de François Lafond, directeur général du think-tank européen EuropaNova. (Interview de Challenges)
Les bons scores obtenus par le Front National aux régionales s’inscrivent-ils dans une montée générale des extrêmes droites en Europe?
Partout en Europe, il y a un rejet des partis traditionnels de gouvernement et de la mondialisation. L’intégration européenne du fait de sa complexité est perçue comme une contrainte imposée aux Etats. On voit donc une montée des partis antisystème, qui n’ont pas encore exercé le pouvoir. Mais cela ne se traduit pas partout par un vote à l’extrême droite. L’extrême gauche tire aussi son épingle du jeu, que ce soit Syriza en Grèce ou Podemos en Espagne. Au Royaume-Uni, le UKip milite pour l’indépendance vis-à-vis de l’Europe mais ne se considère pas comme un parti d’extrême droite semblable au FN. Le point commun de ces partis est de lutter contre la mondialisation et de reprendre de la souveraineté. Leurs programmes économiques sont d’ailleurs assez proches, qu’ils se situent à gauche ou à droite.
Comment expliquer qu’en France ce soit l’extrême droite qui profite de la situation et pas chez nos voisins?
Il y a des raisons historiques qui font que l’Espagne, le Portugal ou la Grèce n’ont pas basculé à l’extrême droite. Ces pays restent traumatisés par les dictatures de droite des années 1970. De même, le parti anti-européen a eu du mal à percer en Allemagne car il est difficile d’aller à l’extrême droite depuis la seconde guerre mondiale. En France, le parti communiste a déjà été au pouvoir dans les années 1980 et 1990 avec le parti socialiste et a perdu sa capacité à constituer une alternative. Il y aussi un phénomène de rajeunissement propre à l’extrême droite française: si Jean-Marie Le Pen était resté au Front National, le parti n’aurait pas fait le même score. Désormais, le FN est dirigé par sa fille Marine et a la plus jeune députée de France avec sa nièce Marion Maréchal-Le Pen. A l’inverse, les partis traditionnels n’ont pas su faire de place aux jeunes et aux femmes. Ainsi, Jean-Pierre Masseret, le candidat socialiste dans l’Est, a 71 ans et apparaît comme celui qui ne veut pas lâcher son poste.
Comment les partis traditionnels peuvent-ils reprendre la main?
En fait, on n’a pas fait assez d’Europe, les Etats membres ne sont pas allés au bout de la logique qu’ils souhaitaient instaurer. On a fait l’euro mais cela ne marche pas s’il n’y a pas de coordination fiscale et budgétaire. On a fait l’espace Schengen mais on n’a pas renforcé les frontières extérieures de l’Union, comme cela était prévu, notamment en Italie et en Grèce. Les dirigeants ont souvent tendance à rejeter la faute sur l’Europe mais ce sont les Etats-membres et le Conseil qui prennent les décisions. En France, le Quai d’Orsay et Bercy doivent accepter d’aller vers davantage de régulation supranationale, de transférer des pouvoirs à une démocratie européenne qui fonctionnerait mieux. Un seul Etat ne pourra pas apporter de réponse pertinente sur des sujets comme le terrorisme ou l’environnement.
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