Pour une Europe de la défense (Jorge Domecq)
Jorge Domecq, le directeur exécutif de l’Agence européenne de défense, appelle à une consolidation de l’industrie de la défense en Europe dans une interview à la Tribune. Sinon, explique-t-il, « elle perdra des capacités industrielles et technologiques dans les cinq à dix ans ».
Quelle est votre ambition pour l’Agence de défense européenne (AED)?
Depuis que je suis arrivé à la tête de l’AED, j’ai établi des priorités dans des domaines où je pense que l’Agence peut aider à bâtir une Europe de la défense, qui est inscrite dans le Traité de Lisbonne. Nous devons disposer d’instruments au sein de l’Agence pour atteindre cet objectif. J’ai donc soumis aux ministres de la Défense des pays membres un plan de travail en trois volets pour ne pas disperser les efforts de l’AED : soutenir les efforts des Etats membres dans le développement de capacités structurantes, par exemple dans la mise en place d’un programme de drone de surveillance européen ; contribuer au renforcement de la base industrielle de défense en Europe notamment à travers la Recherche et technologie, être le relais des intérêts de la communauté défense dans les enceintes européennes. Nous ne sommes qu’une petite agence de 125 personnes. Mon action, et donc mon ambition, dépend uniquement de la volonté des Etats membres. Ce sont souvent des questions de souveraineté nationale que nous traitons. Nous ne pouvons avancer qu’avec l’accord des Etats.
Quelles sont vos trois priorités?
Premièrement l’Agence doit se concentrer sur le développement de capacités pour la défense européenne. Et nous voulons développer des programmes en coopération structurants d’un point de vue opérationnel et industriel à la fois pour les grands et les petits pays. Par exemple, dans la lutte contre la menace initiée par les mini-drones. Sur le plan opérationnel, nous devons aider les armées européennes à disposer de capacités leur permettant d’agir ensemble si les pays le souhaitent. Sur le plan industriel, nous devons pousser à une intégration progressive des industries de défense. L’offre capacitaire est aujourd’hui trop fragmentée en Europe. Il faut harmoniser dès le départ les décisions portant sur les besoins militaires des ministères de la Défense. Cela donnerait d’abord de la visibilité aux industriels et pourrait contribuer à une intégration au moment du lancement de la production.
Sinon?
Si l’Europe perd ces capacités industrielles et technologiques dans les cinq à dix 10 ans à venir, alors son poids, comme partenaire pour d’autres pays, y compris pour nos alliés, va faiblir. L’Europe deviendra alors un contributeur secondaire. Nous avons donc besoin d’avancer dans les domaines capacitaires et d’avancer vers une plus grande intégration de l’industrie pour qu’elle soit plus compétitive et qu’elle dispose d’un poids technologique à la hauteur des futurs besoins de la défense européenne.
Peut-être pouvez-vous influer sur les priorités concernant la recherche?
C’est effectivement notre deuxième priorité. Comme l’Agence n’a ni la taille, ni les instruments régulatoires ni financiers adaptés pour mettre en route une politique industrielle commune à l’Europe, nous avons la possibilité de créer un réseau d’experts pour stimuler la recherche et de consolider les besoins de nos forces armées. C’est précisément dans les activités de recherches et d’innovations que nous pouvons arriver à une harmonisation. La politique de soutien aux PME dans le domaine de la recherche et l’innovation est aussi très importante pour essayer d’intégrer l’industrie européenne de la défense. En général, l’AED doit servir d’outil pour soutenir l’industrie européenne de la défense qui pourrait être confrontée d’ici à quelques années à de graves problèmes.
Quels sont les thèmes de recherche que l’AED souhaite développer?
Pour l’AED, il est fondamental que les efforts dans le domaine de la recherche répondent bien sûr à des améliorations technologiques. Mais ce qui est plus important, nous devons concentrer l’élan de notre industrie sur des priorités capacitaires au niveau européen. Un plan de travail, le Plan de développement des capacités (Capability Development Plan), a été adopté par les ministres de la Défense en novembre 2014. Ce sera notre guide pour les efforts dans le domaine de la recherche et des futurs programmes menés en coopération, que ce soit sur une base multilatérale, ou dans le cadre de l’AED.
Et votre troisième priorité?
Nous devons nous assurer que les politiques générales mises en place par l’Union européenne dans différents domaines n’ont pas d’impact sur les politiques de défense. Par exemple, le programme européen « Ciel ouvert » avec son pilier technologique SESAR a un impact important sur les capacités des forces aériennes européennes, qui disposent in fine de la plus grande flotte européenne. En Europe, il y a 150.000 vols militaires par an effectués par plus de 9.500 avions. L’AED a été désignée par les ministères de la défense pour représenter les intérêts militaires auprès de la Commission européenne. Nous jouons un peu le rôle de sentinelle de la défense dans les politiques européennes en général. En même temps, l’Agence travaille sur des projets qui vont permettre aux forces aériennes d’accéder à des financements de l’Union européenne pour intégrer des adaptations technologiques sur tous les appareils de contrôle de l’espace aérien dans les années à venir.
L’Europe ne devrait-elle pas avoir une défense commune, les menaces étant en grande partie communes à tous les pays européens?
Absolument. Les menaces actuelles au sud et à l’est de l’Europe impliquent une mise en commun des moyens européens. Mais pas seulement. Avec la crise économique actuelle, le mot d’ordre doit être la coopération dans le secteur de la défense. Cela devrait être un must. Au contraire, aujourd’hui seulement 8% des dépenses R&T de défense en Europe sont consacrés à des programmes en coopération. Il faut absolument avancer dans la coopération entre Européens. Mais peut-être pas à 28 sur tous les dossiers. Nous n’avons plus le choix même si nous retardons encore les décisions. Les pays européens doivent dépenser plus efficacement qu’aujourd’hui leurs ressources dédiées à la défense. Par exemple, l’Europe ne peut pas dépenser la moitié de l’argent que les États-Unis mettent chaque année dans la défense et n’obtenir que 15% de leurs résultats en terme de restitution opérationnelle
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