D’une certaine manière la fondation terra Nova propose la suppression du code du travail dont il est rendu compte dans la Tribune. Il s’agit en effet d’inverser la hiérarchie du droit social. L’accord dans l’entreprise prendrait le pas sur l’accord de branche lequel s’imposerait par rapport au code du travail. Le code du travail serait donc pratiquement supprimé, en tout cas il n’aurait plus qu’un caractère supplétif. Du coup c’est une véritable révolution que propose terra Nova. Chaque entreprise pourrait ainsi construire son propre droit du travail après accord avec les salariés et leurs représentants. Il s’agit là d’une véritable réforme structurelle, reste l’épineuse question de la représentativité des délégués des entreprises. En effet de nombreuses PME n’ont pas ou peu de représentants des salariés. Mais cela pourrait être aussi l’occasion de favoriser un vrai paritarisme dans l’entreprise. Pour une réforme aussi fondamentale il est nécessaire de disposer cependant d’un environnement politique favorable donc d’un certain consensus. On peut se demander si le pouvoir actuel dispose encore des marges de manœuvre nécessaire pour engager une réforme d’une telle ampleur avec sérieux et sérénité. Pour le rapport de Terra Nova, c’est au niveau de l’entreprise que les règles du droit du travail doivent être fixées. La loi ne doit plus avoir qu’un rôle secondaire. Dans un rapport détonant publié par la fondation Terra Nova, l’économiste Gilbert Cette et l’avocat Jacques Barthélémy suggèrent de laisser aux accords d’entreprise la possibilité de fixer la quasi totalité des règles de droit du travail. La loi ne serait plus que supplétive. Cette et Barthélémy dressent le même constat que l’ancien président du conseil constitutionnel Robert Badinter et du professeur en droit du travail Antoine Lyon-Caen dans leur ouvrage paru en juin intitulé «Le travail et la loi». Pour eux, il y a « une incapacité du droit social actuel en France à bien concilier l’efficacité économique et sa fonction protectrice ». Pour le duo Cette/Barthélémy, cela tient à: « la prolifération et à la complexité des règles d’essence légale et de ce fait uniformes qui empêchent la réalisation de compromis locaux (…). Du fait de cette abondance réglementaire, l’espace décisionnel de la négociation collective est faible, comparé à d’autres pays développés ». Pour « sortir de cette impasse », selon les termes de ce très imaginatif duo, il conviendrait de totalement inverser ce que l’on appelle la hiérarchie des normes. A l’avenir, ce n’est plus la loi ou le décret qui doit prédominer mais l’accord d’entreprise ou, à défaut, l’accord de branche. Au revoir le code du travail national qui s’applique de Lille à Marseille… Bonjour à plusieurs dizaines de milliers de petits codes du travail applicables dans autant d’entreprises. Tout doit pouvoir être négocié entre patronat et syndicats (voire même, selon les auteurs, avec le comité d’entreprise) sur le terrain: organisation du travail, mode de représentation du personnel, durée du travail, niveau des rémunérations… Tout, absolument tout, sauf les quelques points qui relèvent de l’ordre public ou des engagements internationaux de la France dans le domaine social (durée maximale du travail, par exemple, ou nécessité de justifier un motif de licenciement). Dans le schéma imaginé par les auteurs, il conviendrait dans un premier temps de faire «de la dérogation à la loi et à la réglementation, par accord collectif, la règle » puis, dans une seconde étape, « le droit règlementaire devient même supplétif du droit conventionnels élaboré par accords collectifs entre les partenaires sociaux ». En d’autres termes, Cette/Barthélémy veulent que chaque entreprise puisse bâtir son propre droit du travail et ce n’est qu’en l’absence d’accord que la loi ou le règlement serait applicable dans l’entreprise. Mieux, cet accord d’entreprise serait également imposable au salarié qui ne pourrait plus arguer que son contrat de travail contient des dispositions plus avantageuses pour refuser son application, sauf s’il s’agit vraiment d’un « élément substantiel absolu » du contrat (la qualification par exemple). Si un salarié refuse l’accord, il pourra alors être licencié sans aucune autre motivation à fournir par l’employeur. Il s’agirait d’une « rupture sui generis » qui permettrait cependant de s’inscrire à l’assurance chômage mais qui ne donnerait aucun droit en matière de reclassement comme cela existe lors d’un licenciement économique. Cette et Barthélémy imaginent même que l’indemnité de départ servie au salarié pourra être prévue par l’accord collectif d’entreprise… Le salarié licencié ne pourra donc pas revendiquer l’indemnité conventionnelle fixée par la branche, voire l’indemnité légale fixée par le Code du travail… Les auteurs précisent cependant que pour donner autant de force à un accord d’entreprise, il faut, au préalable, lui donner toute sa légitimité. Ainsi, pour eux, tout accord doit être conclu avec un ou des syndicats ayant au moins réuni 50% des suffrages de salariés lors des dernières élections professionnelles. Très en verve, le duo Cette Barthélémy ne s’arrête pas là. Il se penche également sur bien d’autres domaines du droit du travail, comme les indemnités de licenciement qu’il conviendrait de moduler en fonction, notamment, des efforts fournis par l’entreprise pour reclasser un salarié. Il s’intéresse aussi à la résolution des litiges en prônant un recours à la procédure d’arbitrage pour contourner les conseils de prud’hommes. Enfin, les auteurs se livrent à un véritable tir en règle contre le Smic dont le montant nuit à l’emploi (notamment des jeunes) mais qui ne permet pas également de lutter contre la pauvreté. Non seulement, ils souhaitent que des « accords de branche étendus » permettent de déroger au montant national du salaire minimum, mais ils suggèrent aussi de geler l’évolution du montant du Smic et remettent même en cause l’aspect national du Smic.
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