Kerviel : le début d’une autre affaire Société Générale
Dans une Interview à l’Express Kerviel régit aux révélations de la policière qui met en cause la Société Générale et considère que c’est une bombe.
Il y a un an, vous demandiez – en vain – à François Hollande de garantir la protection des personnes prêtes à témoigner des dysfonctionnements dans le traitement de votre dossier. L’une d’entre elles parle aujourd’hui à visage découvert. Est-ce la fin de l’affaire Kerviel?
La fin, je ne sais pas, je l’espère. C’est à tout le moins le début de l’affaire Société générale. C’est une bombe, car non seulement ce témoignage fait sauter la banque en démasquant sa version officielle, mais il provient de la personne la plus au fait de l’affaire. C’est elle qui a mené l’intégralité de l’enquête depuis 2008 et qui a rédigé le procès-verbal de synthèse qui concluait à ma seule responsabilité. Elle connaît le dossier comme personne, probablement mieux que tous les magistrats qui ont été amenés à me juger. Pour moi, ça a valeur de réhabilitation. Je suis stupéfait par le courage de cette personne qui aujourd’hui trouve la force d’assumer et de dire: j’ai été trompée. Je ne sais que trop ce que ça peut lui coûter. Je ne sais pas si, à sa place, j’aurais eu ce courage. J’espère que les magistrats prendront à sa juste valeur cet acte de bravoure.
S’il avait été protégé, ce témoin aurait pu vous épargner d’être incarcéré. Vous le saviez lorsque vous avez été interpellé. Qu’avez-vous ressenti alors?
Un mélange de peine, de dégoût, de rage aussi. Car j’avais acquis la certitude que des dysfonctionnements existaient. C’était ce qui ressortait de l’enquête de Mediapart publiée la veille de mon arrestation. Ça coûtait quoi à l’Etat d’assurer l’anonymat des témoins? On était alors en plein débat sur le statut des lanceurs d’alerte et la manière de les protéger. J’ai toujours été respectueux de la justice française en espérant qu’elle fonctionne, je n’ai jamais fui, je me suis rendu en temps et en heure, sur décision du parquet, qui avait pourtant cinq ans pour mettre à exécution ma peine. Mais ce qui s’est passé ce jour-là était à l’opposé de l’image de la France, de ses valeurs telles qu’on me les a inculquées. Il n’y a pas un jour en prison où je n’ai pas espéré que l’un d’entre eux ait le courage de parler.
Aujourd’hui, comment vous sentez-vous?
Libéré, en paix avec moi-même. Quelle que soit la décision que prendront les juges, au moins, la promesse faite à ma mère, rendre l’honneur au nom de ma famille, est confortée. Au-delà de ma réhabilitation, c’est aussi celle de tous ces gens qui m’ont soutenu, ceux qui ont accepté de témoigner pendant mon procès, qui ont pris le risque de mettre en jeu leur carrière au nom d’un certain idéal de justice et qui ont été successivement raillés, maltraités et sanctionnés. Ce que je ressens comme une réhabilitation leur revient en priorité, car ils ont eu raison avant tout le monde.
Votre avocat, David Koubbi, a déposé la semaine dernière un recours en révision. Qu’en attendez-vous?
La réouverture du dossier, la tenue d’une vraie enquête à charge et à décharge, une véritable expertise financière indépendante sur les pertes de la banque. Mais aussi l’espoir que la justice arrête de dérailler, que le parquet cesse cette énorme mascarade, que les magistrats, les hommes politiques et les citoyens saisissent l’enjeu de ce qui est train de se passer.
A votre sortie de prison, vous avez déclaré que vous aspiriez désormais à « une vie normale ». Cela semble plus compliqué que vous ne l’aviez imaginé…
Je n’avais pas anticipé à quel point on se sent en sécurité dans une cellule de 9 m2. En prison, votre agenda est réglé comme du papier à musique, vous n’avez pas besoin de vous projeter, vous ne réfléchissez pas à l’avenir, le temps ne compte plus. Surtout que je m’étais mis en tête que j’allais purger la totalité de ma peine, c’est-à-dire trois ans. Je me le répétais tous les jours. C’était compter sans la pugnacité de mon avocat et de ses collaborateurs du cabinet 28 octobre. Sans eux, on ne serait pas allé jusqu’au bout et je ne serais peut-être pas là aujourd’hui. Une fois dehors, ce processus psychologique, destiné à me protéger, m’a sauté à la figure. Pendant des semaines, je me suis levé avec la peur de sortir dans la rue. Le moindre bruit de clefs ou de portes me renvoyait à la prison. Je me posais un milliard de questions, je culpabilisais d’être dehors et de ne pas me sentir heureux. J’ai mis plusieurs mois pour reprendre conscience et accepter qu’il me fallait entamer un travail sérieux sur moi-même. Ce que j’ai fait. Je ne sais pas si vous mesurez tout ce que j’endure depuis 2008. Sept ans, c’est long, mais nous ne lâcherons pas.
Vous aviez entamé une « marche contre la tyrannie des marchés financiers ». Comment allez-vous poursuivre ce combat?
Ça chemine. Des gens nous rejoignent, des professeurs d’économie, des universitaires, d’anciens traders, des hommes politiques. On réfléchit à importer un concept qui a fait ses preuves aux Etats-Unis, qui consiste à racheter des prêts étudiants pour les financer par des dons. J’adorerais l’appliquer en France à des personnes surendettées. On envisage aussi de lancer un site Internet pour intéresser les citoyens au monde de la finance, donner des clefs, bref, éveiller les consciences.
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