Marche du 11 janvier : « Il y a deux France »

Marche du 11 janvier : « Il y a deux France »

Quatre mois après la marche du 11 janvier, qualifiée « d’imposture » par Emmanuel Todd, une étude beaucoup moins polémique publiée par la Fondation Jean Jaurès (think tank proche du PS) s’intéresse à ceux qui ne sont pas allés défiler après les attentats. Co-auteur, Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion de l’Ifop, partage quelques points communs avec le livre provocateur du démographe. ( interview JDD)

 

Comme Emmanuel Todd, vous montrez que les catégories populaires ont été les grandes absentes des marches des 10 et 11 janvier. Partagez-vous les points de vue du démographe sur cette marche républicaine?
Nous sommes partis du même point de départ, à savoir la géographie de la mobilisation, qui montre de fortes disparités derrière un grand mouvement qui se voulait consensuel et unanime. Il y a eu deux France. Lui consacre une grande partie de son analyse à ceux qui sont allés manifester quand nous, nous avons interrogé des personnes issues des catégories populaires, qui ont commencé à voter FN ou qui sont tentées de le faire, et qui sont restées chez elles. Mais il y a des zones de recouvrement sur un certain nombre de constats. Sauf qu’Emmanuel Todd le dit avec ses mots et une dimension polémique revendiquée sur laquelle je ne me prononce pas.

Lire aussi : Pourquoi Emmanuel Todd dénonce une « imposture »

Qu’avez-vous en commun?
Il parle d’un moment historique pour notre société, qui est arrivée au bout d’un processus de déchristianisation et qui pensait en avoir fini avec le fait religieux. Mais elle est aujourd’hui interpellée par la question de l’islam. Todd dit en substance que ceux qui ont marché ont peur de l’islam mais ne le savent pas encore. Mais ceux qui n’ont pas marché nous le disent sans problème, ils ont même théorisé ce « processus d’islamisation », quitte à ce qu’il y ait un problème de compréhension. Par exemple, l’une de ces personnes ne dit rien de moins que : « Ils veulent nous imposer leur loi. »

«Chez les catégories populaires, il n’y a pas eu d’effet de sidération que l’on a pu retrouver chez les autres couches de la population.»

Concrètement, pourquoi cette France populaire ne s’est pas sentie « Charlie »?
Beaucoup de ces personnes issues des catégories populaires ont été touchées et choquées par les événements, mais pas surprises. Il n’y a pas eu d’effet de sidération que l’on a pu retrouver chez les autres couches de la population qui, elles, sont massivement descendues dans la rue. Pour elles, cela n’a pas traduit un moment de rupture mais au contraire, une confirmation. Les personnes interrogées nous disaient « cela devait arriver », « tout cela nous pendait au nez »… Elles avaient depuis longtemps intériorisé une « menace ». Ce n’est pas seulement l’idée d’une différence entre une France d’en haut et une France d’en bas, mais aussi entre ceux qui verraient le réel et ceux qui ne voudraient pas le voir ou ne l’auraient pas vu à temps.

Ne pouvait-on pas défiler même en étant conscient de cette menace?
Pour ces personnes, défiler à la demande de ceux qui, pendant des années « n’ont pas voulu voir notre réalité » n’était pas concevable. Le mot d’ordre pour elles ne pouvaient pas être « Je suis Charlie », puisqu’elles considèrent que le problème est beaucoup plus profond que la liberté de la presse. La question n’est pas que les journalistes puissent caricaturer ou non un prophète, c’est la capacité collective à résister à un phénomène qu’ils appellent islamisation, qu’eux avaient diagnostiqué et qu’ils ont vu valider de façon éclatante en janvier. Or, quelque part, cette manifestation ne ferait que prendre les choses par le petit bout de la lorgnette.

«La carte de la mobilisation est en creux celle du vote FN.»

L’une de vos enquêtes montrait que 80% de la population percevait une menace terroriste avant les attentats de janvier. Parmi ces personnes, quelle est alors la différence entre celle qui sont allées marcher et les autres?
Tout dépend de la façon dont la menace terroriste est reliée. Certains y verront effectivement la preuve que le monde est dangereux et qu’il faut réaffirmer des principes républicains. Les autres affirment que tout cela n’est que la pointe émergée de l’iceberg et qu’il faut relier à ce que nous avons appelé des « séries » : c’est le terrorisme, mais aussi la crise des banlieues, l’immigration, la géopolitique de l’islamisme, la montée du fondamentalisme… Ce sont ces fils qui, en janvier 2011, se trament pour former une idéologie. Ces différentes questions se sont cristallisées à ce moment. Les attentats ont été un catalyseur pour la formation de cette idéologie populiste.

C’est une idéologie qui se retrouve portée par le FN?
Cette idéologie entre en phase avec le discours du Front national. La carte de la mobilisation des 10 et 11 janvier est en creux celle du vote FN. Mais nous essayons de montrer que cette machine idéologique s’est autonomisée du FN et qu’elle tourne à plein régime, toute seule. Elle est alimentée sans arrêt par des faits d’actualité et on peut penser qu’elle continuera à l’être pendant de nombreuses années. Les personnes rencontrées s’appuient en effet sur leur propre jugement ou disent avoir la connaissance pratique de cette idéologie. Elles disent « Il faut se rendre à l’évidence » ou « force est de constater que » et cite des exemples de leur quotidien. Le FN en profite parce qu’il se met en porte-voix de ces personnes. En ne défilant pas à Paris, Marine Le Pen s’est d’ailleurs mise en résonance de cet électorat. Contrairement à une première lecture qui a pu être faite, ce n’était pas une erreur de sa part, bien au contraire.

Janvier 2015 : le catalyseur. Jérôme Fourquet et Alain Mergier. Fondation Jean Jaurès.

 

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