Pourquoi le pétrole baisse
Le baril est passé sous les 60 dollars hier, un événement que puée d’experts avaient prévu. Dans une intreview à Paris Match Thomas Porcher, expert, explique.
Paris Match. Le prix du baril de référence vient de passer sous les 60 dollars. A quoi est dû l’effondrement des cours du pétrole?
Thomas Porcher. C’est dû d’abord au développement des pétroles non conventionnels, et notamment les pétroles de schiste. Il y a eu des forages tellement intensifs que la production a fortement augmenté aux Etats-Unis : aujourd’hui on est environ à 10 millions de barils. C’est une montée en puissance extrêmement forte. Il y a aussi une baisse de la croissance mondiale, à laquelle la demande de pétrole est directement liée. La demande est extrêmement morose. Entre 1990 et 2000, la demande mondiale de pétrole augmentait chaque année d’un million de baril par jour. En 2011 et 2012, la demande augmentait de 3 millions de barils par jour tous les ans. Et aujourd’hui, elle n’augmentera cette année que de 900 000 barils. L’offre est supérieure à la demande d’un peu plus de 1,5 million de barils.
Quel est le rôle de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) dans cet effondrement des cours?
C’est un élément nouveau, ça a été une surprise pour moi : l’Opep n’est pas intervenue alors que le prix baissait. C’est très surprenant. Quand les prix baissent trop, l’Opep intervient toujours : après le 11 septembre 2001, en 2006 lorsque la consommation de pétrole se stabilisait et en 2008, alors que le prix est passé de 148 dollars à moins de 40 dollars, l’Opep a retiré plus de 3,5 millions de barils par jour pour faire remonter les prix. On s’attendait à ce que l’Opep intervienne, elle ne l’a pas fait et c’est la vraie surprise.
Quel intérêt aurait l’Opep à ne pas intervenir?
Le scénario le plus probable c’est que l’Opep a décidé de ne plus ajuster sa production, en laissant les autres le faire. Quand vous avez des prix qui baissent, les investissements dans les pétroles non conventionnels diminuent naturellement. On n’aurait jamais fait à ces prix-là les forages qu’on a faits en Guyane. Il y a un autre scénario : il y aurait un axe Washington-Riyad pour laisser filer les prix et étouffer les économies russe, vénézuélienne et iranienne. La réalité, c’est qu’on ne peut pas savoir.
Serait-ce un moyen pour les pays producteurs d’étouffer la dynamique des pétroles non conventionnels, qui ont explosé notamment en Amérique du Nord ces dernières années?
La production de pétrole de schiste va continuer, on ne ferme pas les robinets comme ça. Mais les investissements futurs dans le pétrole de schiste, les sables bitumineux ou en mer très profonde, vont être remis en question. Le prix du baril est beaucoup trop faible et la rentabilité n’est pas assez élevée. Les investisseurs vont y réfléchir à deux fois. Sans investissement, vous avez une contraction de l’offre et de nouveaux des tensions sur les prix. Les prix pourraient donc remonter.
A quel niveau de prix les pétroles non conventionnels deviennent-ils rentables?
Globalement, sur les sables bitumineux et les pétroles de schiste, le seuil est de 75 dollars le baril. Ça veut dire en fait un prix de 90 dollars, pour que la marge soit suffisante. Pour des pétroles en mer très profonde, il faut un baril autour de 100 dollars. Aujourd’hui, le prix bas du baril met à mal ceux qui exploitent ces pétroles : tous les prêts engagés pour financer les investissements ont été basés sur un prix du baril à 100 dollars. Demain, quand ils devront emprunter pour investir, ce ne sera pas aux mêmes conditions. Les investissements futurs sont mis en danger. Or, si on ne continue pas à investir sans cesse dans ces pétroles non conventionnels, la production chute rapidement, car pour les pétroles de schistes, la durée de vie des forages est beaucoup plus courte que pour les puits traditionnels.
Qui souffre le plus de cette baisse des prix?
Elle gêne tous les pays producteurs mais plus particulièrement ceux qui sont très dépendants de leurs recettes pétrolières. Ce sont les pays de l’Opep, mais aussi de petits producteurs comme la République du Congo ou le Gabon, qui vont prendre de plein fouet la chute des cours. L’Arabie Saoudite a plus de marges financières que le Venezuela, la Russie ou le Congo. Il risque d’y avoir des retards dans le paiement des fonctionnaires. Tous ces pays avaient planifié leurs budgets sur un baril à 100 dollars. La marge de manœuvre de l’Arabie Saoudite, qui est le vrai patron à l’intérieur de l’Opep, est extrêmement faible : ils peuvent jouer la baisse pendant quelques temps, mais à la prochaine réunion de l’Opep en juin, il va y avoir une pression des autres pays de l’Opep et peut-être même des troubles sociaux internes en Arabie Saoudite, si le rythme actuel d’augmentation des salaires des fonctionnaires n’est pas tenu.
Les cours du pétrole plongent, mais ceux du gazole baissent beaucoup plus lentement. Comment cela s’explique-t-il?
Il ne faut pas penser que les prix du carburant vont baisser aussi rapidement que les prix du pétrole. Il y a une part importante qui est fixe dans les prix du carburant : c’est la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). La partie qui dépend uniquement des prix du brut est beaucoup plus faible. Il faut aussi prendre en compte le fait que le dollar s’est renchéri par rapport à l’euro. On achète le pétrole en dollar et consomme l’essence en euro. Si on avait eu un euro fort, il y aurait eu une amplification de la baisse. Enfin, le marché est un peu différent : le marché des carburants, qui est à Rotterdam, dépend plus de la fluctuation des fondamentaux saisonniers : départs en vacances ou climat. Il peut donc y avoir des décalages
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