« Houellebecq, visionnaire de l’économie »(Maris)

« Houellebecq, visionnaire de l’économie »(Maris)

Bernard Maris pourrait figurer dans la liste des Économistes atterrés tant il prend plaisir à fustiger la doxa libérale. Mais à la lecture de son dernier livre, qui rend un vibrant hommage à la pensée économique de l’écrivain Michel Houellebecq, on lui donnerait plutôt de « l’économiste révélé ». Intreview JDD.

Votre livre sur les réflexions économiques du Goncourt 2010 à travers son œuvre, notamment La Carte et le Territoire, est autant un livre hommage qu’un livre confession, celle de l’économiste Bernard Maris…
J’ai été ébloui par La Carte et le Territoire. Michel Houellebecq dépeint en visionnaire notre temps, la productivité, l’espace. Il m’a appris des choses que je savais mais que je n’osais pas dire en tant qu’économiste. Il narre, par exemple, des êtres très infantiles qui se comportent en poussins apeurés et toujours insatisfaits. C’est très fort. Keynes ne dit pas autre chose lorsqu’il explique que le capitalisme infantilise en créant un désir d’accumulation perpétuel chez l’homme, et donc un état de frustration continu. Houellebecq a vu et lu le vrai Keynes. Pas celui de la relance de la consommation de la gauche mais le chantre de la décroissance qui prône l’euthanasie des rentiers. Il m’a aussi beaucoup révélé sur les thèmes de l’utile et de l’inutile. Qu’est-ce que le travail utile? Celui de l’ouvrier qui fabrique une passerelle ou celui du dircom qui marche dessus et qui est payé 10 fois plus?

Où situez-vous Michel Houellebecq sur l’échiquier des économistes?
Il est à la fois keynésien et schumpétérien. Keynesien lorsqu’il fustige le désir de consommation, les supermarchés comme lieux paradisiaques de transformation des objets. Et il reconnaît la contribution de Schumpeter, le chantre de la destruction créatrice. Dans La Carte et le Territoire, son héros se plaint de ne plus avoir son imprimante Canon et accable les chefs de produit irresponsables qui poussent à innover en permanence pour vendre. Dans Extension du domaine de la lutte, il décrit un cadre qui vit dans la peur permanente. La destruction créatrice nous place dans un état de soumission permanente. Elle terrorise les gens et les tient en laisse. Tout comme la publicité qui crée un surmoi dur et terrifiant.

Houellebecq a-t-il une culture économique?
Il a lu Keynes, beaucoup lu Fourrier et Marx. Le rêve de Marx, par exemple, était de transformer le travail pour qu’il soit désiré et non plus subi.

Dans ce livre, vous réglez à nouveau vos comptes avec la secte des économistes, dont vous faites pourtant partie.
C’est vrai et c’est ce qui a le plus plu à Michel Houellebecq. Nous sommes une corporation qui participe au discours dominant de la quantification. Au nom des statistiques qui filtrent désormais toute réflexion, nous évacuons le fond des problèmes. Cet outil ­inventé par l’État justifie toutes les mesures qu’il nous impose comme une fatalité et au nom d’une ­pseudoscience.

L’économie comme discipline a-t-elle encore une utilité?
Les gens sont devenus accro aux chiffres, donc l’économie reste une discipline rassurante. Je pense, toutefois, qu’elle est vouée à disparaître comme discipline scientifique dure. Avec la crise de 2007, tous les économistes ont pris un grand coup sur la tête. Ils n’ont rien vu venir, rien compris. Leurs maths et leurs modèles ne sont plus très porteurs.

 

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