» Kerviel: un procès très déséquilibré » (Joly )
Juge d’instruction aux affaires financières et aujourd’hui candidate écolo en Ile-de-France aux européennes, Eva Joly revient pour leJDD.fr sur le feuilleton Jérôme Kerviel. L’ancienne candidate à la présidentielle dénonce un « procès déséquilibré », « dominé par la Société générale ». Elle évoque également les citoyens « trahis » par François Hollande, qui n’a selon elle, jamais concrétisé le discours du Bourget. (INTERVIEW –JDD)
Jérôme Kerviel a été arrêté dans la nuit de dimanche à lundi, puis incarcéré à Nice. Quelle est votre réaction?
Il a choisi de faire face à ses responsabilités avec courage. Pour moi, ce procès est très déséquilibré. Il a pris trois ans ferme. En comparaison, la peine de Jean-Marie Messier dans l’affaire Vivendi – rendue lundi par la même présidente de Cour d’appel de Paris, Mireille Filippini – a été réduite à dix mois avec sursis, contre trois ans avec sursis en première instance. Jérôme Kerviel et Jean-Marie Messier avaient en commun d’être très joueur. Mais l’un appartient à l’establishment et l’autre non. De plus, l’ancien trader a été interpellé à la frontière comme si la sécurité du pays en dépendait. Tout se passe comme s’il y avait une urgence. L’urgence est en fait de faire croire que l’affaire est terminée et qu’il n’y a qu’un coupable.
Que contestez-vous dans cette affaire?
S’il est vrai qu’un trader junior peut prendre des positions aussi importantes sans contrôle, c’est un réel souci. Le procès a été dominé par la Société générale. D’ailleurs, je rends hommage au talent infini de Me Veil qui a réussi un tour de passe-passe : le fait que l’une des plus grandes banques françaises soit complètement dépourvue de contrôle a été occulté. Ce procès s’est fait, sans regard extérieur, sur les éléments produits par la banque. Or, la peine n’est pas la même si l’on pense que les dettes étaient de l’ordre de 4,9 milliards ou si la Société générale a fait des bénéfices. Personne n’a regardé les comptes globaux de la banque en 2008 : elle a gagné 16 milliards d’euros sur les produits dérivés. Cela me pose question.
Vous condamnez donc l’attitude de la Société générale?
De manière incroyable, la banque a également réussi à se faire payer 1,7 milliard d’euros par les contribuables sur des pertes que personne n’a vérifiées. Ce n’est pas normal. Je demande l’ouverture d’une information judiciaire sur les conditions dans lesquelles ce paiement est intervenu, afin de savoir si réellement la Société générale y avait droit.
«La finance a un visage et trop de pouvoir»
Malgré tout, vous ne remettez pas en cause la culpabilité de Jérôme Kerviel?
Non. Mais la question est de quoi au juste est-il coupable? Dans ce système fou, c’est un joueur et il a perdu la tête. Mais les soit disant règles de sécurité mises en place pour l’en empêcher n’ont pas fonctionné.
Mardi, avec Pascal Canfin, vous allez faire un « Finance tour » dans Paris. Pourquoi une telle action?
Je veux montrer que la finance a un visage et qu’elle a trop de pouvoir. Il faut la remettre au service des européens et non l’inverse. Par exemple, le monde serait très différent si l’on avait réellement combattu les paradis fiscaux. Aujourd’hui, les actifs gérés à partir des paradis fiscaux sont de 26.000 milliards de dollars, soit près de la moitié d’un PIB mondial (en 2012, le PIB mondial était en fait de 72.000 milliards de dollars, Ndlr). C’est colossal. Et le problème s’est aggravé ces dernières années. En même temps, le changement est possible et il passe par plus d’Europe. Au Parlement européen, nous allons porter une véritable séparation entre les banques d’investissements et celles de dépôt. Nous avons obtenu la transparence pour les banques, nous la souhaitons également pour l’ensemble des multinationales européennes. Pendant cinq ans, nous avons travaillé sur ces sujets. Il faut finir le travail. La lutte contre le monde de la finance est ma priorité.
«L’urgence est de mettre fin à l’austérité»
Quel est l’objectif des écologistes pour les européennes? Selon vous, avoir le même nombre d’élus qu’en 2009 (soit 14, Ndlr) est-il possible?
L’objectif est d’avoir un maximum d’élus. Les citoyens savent que notre avenir est européen et que c’est le bon niveau pour agir. Contre le dérèglement climatique ou pour remettre la finance à sa place. L’urgence est de mettre fin à l’austérité pour engager la transition écologique. Les citoyens ont malheureusement vu que trop souvent les discours ne se sont pas transformés en actes. Contre la finance, les mains ont tremblé devant la pression des lobbies. En Europe mais aussi à Paris. Ils ont pu légitimement se sentir trahis, lorsque le discours du Bourget de François Hollande n’a pas donné lieu à une véritable séparation des activités bancaires.
Il avait pourtant indiqué que la finance était son « véritable adversaire ». Qu’en est-il dans les faits selon vous?
Comment comprendre aussi qu’après une année 2013 faites de promesses contre le secret bancaire et pour la transparence au niveau européen, M. Moscovici (ancien ministre de l’Economie et des Finances, Ndlr), qui pourrait être proposé au poste de commissaire européen, ait retiré les Bermudes et Jersey de la liste des paradis fiscaux? En France comme au niveau européen, les hésitations et les reculs ont fait du mal à la confiance des citoyens dans la politique. Les engagements n’ont pas été tenus.
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