Alstom : Bercy pour une alliance avec Siemens
Le projet préparé par Alstom et GE a fortement déplu à Arnaud Montebourg, sans que l’on sache ce qui l’irrite le plus: la perspective de voir la branche énergie d’Alstom passer sous pavillon étranger ou le fait d’en avoir été informé à la dernière minute. «On a appris vendredi soir que c’était plié, confie un proche du ministre, quand Clara Gaymard (qui représente l’américain en France) nous a prévenus que General Electric avait déposé une offre et qu’Alstom allait l’accepter dimanche.» Les équipes d’Arnaud Montebourg et l’Agence des participations de l’État, qui planchent depuis des mois sur l’avenir d’Alstom, ont réactivé jeudi en urgence la piste d’un échange d’actifs avec Siemens. Joe Kaeser, le PDG du groupe allemand, avait rencontré Patrick Kron à ce sujet le 10 février. Le patron d’Alstom lui avait alors signifié une fin de non-recevoir. Dans un courrier transmis dimanche à l’aube aux administrateurs d’Alstom, Joe Kaeser juge que c’est désormais «le bon moment de réitérer et de détailler la proposition de Siemens en vue d’une potentielle transaction avec Alstom». Dans sa déclaration d’intention, qui n’est pas une offre ferme, Siemens propose de reprendre l’activité énergie d’Alstom, qu’il évalue de 10 à 11 milliards d’euros. De plus, l’allemand offre au français une part importante de sa division ferroviaire, avec ses trains à grande vitesse ICE (avec un carnet de commandes de 5,4 milliards d’euros) et ses locomotives (2 milliards de commandes). À ce stade, Siemens ne propose pas ses rentables rames de métro. Selon Joe Kaeser, ce schéma est «une opportunité unique de bâtir deux géants européens, chacun leader mondial»: l’un français dans le transport (Alstom, qui possède déjà le TGV), l’autre allemand dans l’énergie (Siemens). Tenant compte des exigences d’Arnaud Montebourg, Siemens estime que ces rapprochements n’auront pas d’impact social et s’engage à ne pas faire de licenciement pendant trois ans. Le groupe promet d’établir le siège de sa division vapeur en France, où il transférerait une part significative du siège de son activité transmission. Enfin, il se dit prêt à envisager la rétrocession des actifs nucléaires d’Alstom, afin de sécuriser les intérêts de la France. «Une opportunité unique de bâtir deux géants européens, chacun leader mondial» Joe Kaeser, patron de Siemens Fort de cette offre de dernière minute, le ministre de l’Économie a annulé le rendez-vous prévu dimanche avec Jeff Immelt, le PDG de General Electric. Surtout, il lui a fait parvenir un courrier qui a tout d’un rappel à l’ordre. Arnaud Montebourg lui signifie sa surprise d’avoir été mis devant le fait accompli et lui rappelle que les projets d’acquisition d’actifs dans le secteur de l’énergie, en particulier lorsqu’ils sont liés à l’industrie nucléaire, sont soumis aux autorités françaises (à l’instar du CFIUS aux États-Unis). Rappelant qu’il est en son pouvoir de les refuser ou d’y poser des conditions, Montebourg conseille à Immelt d’engager des discussions avec lui avant toute annonce officielle d’un projet de transaction. Le ministre de l’Économie met aussi la pression sur les administrateurs d’Alstom, estimant que l’offre de General Electric contrevient aux règles boursières protégeant les actionnaires minoritaires: «Je suppose que les administrateurs d’Alstom seront particulièrement prudents dans l’exercice de leurs obligations fiduciaires dans un contexte si sensible», écrit-il. S’il a réussi à gagner un peu de temps avec ce courrier, Arnaud Montebourg préfère ne pas insulter pas l’avenir avec General Electric. Le gouvernement se dit prêt à examiner les deux projets et «à y participer financièrement», en restant vigilant au maintien de l’excellence et de l’indépendance de la filière nucléaire française. «GE et Alstom ont leur calendrier qui est celui d’actionnaires, mais le gouvernement français a le sien qui est celui de la souveraineté économique, assure Arnaud Montebourg. C’est pourquoi le gouvernement souhaite disposer du temps nécessaire à un examen sérieux des propositions. Faut-il rappeler qu’Alstom vit notamment de la commande publique et du soutien de l’État à l’exportation.» Le dossier est désormais traité au plus haut niveau de l’État. François Hollande a réuni sur le sujet dimanche soir à l’Élysée rien moins que le premier ministre, Manuel Valls, Ségolène Royal et Arnaud Montebourg. Le président Hollande a prévu de recevoir lundi Jeff Immelt, en présence du ministre de l’Économie. La balle reste toutefois dans le camp du conseil d’administration d’Alstom, qui a choisi HSBC comme banque conseil et désigné un comité ad hoc composé de cinq de ses membres, présidé par James W. Leng. Voudront-ils prendre une décision mardi soir, quitte à fâcher le gouvernement en donnant l’impression de passer en force, alors que Siemens risque de ne pas avoir eu le temps de formaliser son offre? Sont-ils au contraire prêts à patienter plusieurs semaines, si le groupe General Electric prolonge son offre, comme il en a le projet? Les deux jours qui viennent permettront au gouvernement d’accentuer la pression sur Alstom, son PDG et son principal actionnaire, le groupe Bouygues. Et surtout, de faire monter les enchères entre les deux candidats, que ce soit sur le montant de l’offre en cash ou les promesses en termes d’emplois et de transfert de centres de décision en France. Pour emporter l’affaire, chaque partie tentera de décrédibiliser le camp adverse ou de se donner le beau rôle. Chez Alstom, on assure ainsi que l’ICE est une technologie déclinante, et que son apport n’aurait aucun intérêt, sauf à réveiller les autorités de la concurrence. Du côté de General Electric, interpellé sur le caractère stratégique des activités nucléaires d’Alstom, on rappelle que le groupe américain fournit les turbines des sous-marins d’attaque français et que ces contrats avec la DGA et la DCNS ne posent pas de problème.
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