Municipales : referendum aussi en Turquie
Municipales en Turquie qui comme en France ont des allures de referendum. Dans un climat pollué par les affaires politico-financières visant le régime, ce scrutin s’est transformé en vote de confiance pour Recep Tayyip Erdogan, qui dirige le pays sans partage depuis douze ans. Le chef du gouvernement, 60 ans, est acclamé par ses partisans comme l’artisan de l’impressionnant développement économique turc, et dénoncé comme un « dictateur » par ceux qui lui reprochent sa dérive islamiste et autoritaire. La dernière journée de la campagne électorale, âpre et violente, a illustré samedi ces fractures. Fidèle à sa rhétorique agressive et provocatrice, Recep Tayyip Erdogan a appelé ses troupes à donner une « grosse claque » à ses adversaires et à « donner une leçon » aux « espions » et aux « traîtres » qui complotent contre lui. Dans sa ligne de mire, l’organisation de l’imam Fethullah Gülen, retiré aux Etats-Unis, accusée d’avoir infiltré l’Etat, notamment la police et la magistrature, et de propager des accusations de corruption et des écoutes téléphoniques embarrassantes pour nuire à son régime. Cette guerre fratricide entre les deux ex-alliés de la mouvance islamo-conservatrice a connu son apogée jeudi, avec la diffusion du script d’une réunion « top secret », dans laquelle quatre hauts responsables évoquent l’opportunité, en pleine agitation électorale, d’une intervention militaire en Syrie. Malmenés par ces révélations en cascade, le gouvernement et son chef ont répondu par des purges et des mesures autoritaires, notamment le blocage des réseaux sociaux Twitter et YouTube qui leur ont valu une pluie de critiques. Ravie de l’aubaine, l’opposition a sauté sur l’occasion et tape à bras raccourcis sur Recep Tayyip Erdogan et son régime, devenus à ses yeux « illégitimes ». »Il nous faut laver la classe politique de ceux qui la salissent », a vociféré samedi le chef du Parti républicain du peuple (CHP), Kemal Kiliçdaroglu en point final à sa campagne. Dix mois après la grande fronde antigouvernementale du printemps dernier, des centaines de milliers de personnes ont profité ce mois-ci des funérailles d’un adolescent mortellement blessé par la police pour descendre dans la rue et exiger la démission de « l’assassin » Erdogan. Depuis sa mise en cause dans un vaste scandale de corruption en décembre, le Premier ministre aborde ce scrutin affaibli, mais il dispose encore de solides bases au cœur de l’Anatolie pieuse et modeste. Son Parti de la justice et du développement (AKP) a remporté toutes les élections depuis 2002 et devrait rester dimanche le premier parti de Turquie, mais nettement en-dessous des 50% obtenus aux législatives de 2011. La course aux mairies d’Istanbul, qui réunit 20% des électeurs du pays, et d’Ankara s’annonce serrée et la chute d’une des deux plus grandes villes du pays entre les mains de l’opposition constituerait un revers personnel pour le Premier ministre. « Celui qui gagne Istanbul remporte la Turquie », a répété lui-même l’ancien maire de la mégapole aux 15 millions d’habitants. Le sort de ces deux villes et le score national de l’AKP vont largement déterminer le calendrier politique du pays et l’avenir de Recep Tayyip Erdogan. Une large victoire, improbable, peut le décider à briguer en août la présidence de la République, disputée pour la première fois au suffrage universel direct. Un score plus serré le convaincrait plutôt de prolonger son mandat à la tête du gouvernement lors des législatives de 2015, au prix d’une modification des statuts de l’AKP. Il y a toutefois peu de chance que le scrutin de dimanche ne parvienne à apaiser les tensions dans un pays aujourd’hui à vif. »Qu’Erdogan reste au-delà de 2015 ou pas, les dégâts provoqués par cette crise sont immenses et ne seront pas réparés facilement », juge Brent Sasley, chercheur à l’université du Texas, « la politique de la peur et de la conspiration semble plus enracinée que jamais dans la vie politique turque ».
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