France : Scénario catastrophe en 2040 ( Baverez)
L’économiste et historien revient avec un conte épistolaire se déroulant dans la France de 2040. (interview JDD)
Est-ce un tableau exagéré de la France de 2040?
Non. Mon tableau de la France de 2040 n’est pas caricatural ; il est clinique. Seuls le voile de l’idéologie et l’enfermement dans l’actualité immédiate nous empêchent de voir le résultat des forces profondes qui emportent notre pays. Je n’ai pas grossi le trait ; je me suis contenté de tirer toutes les conséquences des événements auxquels nous assistons. Regardons la dette : qui peut penser que la France échappera à une restructuration financière si elle continue à cumuler croissance zéro, dérive des dépenses et refus de l’impôt ? Considérons l’euro : madame Merkel explique à juste titre que la monnaie unique ne survivrait pas sans une intégration renforcée ; or la France la refuse dans les faits sinon dans les mots puisqu’elle conduit une politique contraire à celle de tous ses partenaires. Tournons-nous vers la politique intérieure : si la droite et la gauche continuent, au nom d’un machiavélisme de pacotille, à faire le jeu de l’extrême droite, comme éviter qu’elle arrive au pouvoir alors que l’année 2014 verra le Front national devenir vraisemblablement, lors des élections européennes, le premier parti de France?
Vous montrez qu’un choc économique amènera un choc historique avec un engrenage de peur et de haine.
Je prends acte de la montée de la violence et du refus de vivre-ensemble dans la société française ; je transpose au niveau de la nation les évolutions de certaines parties du territoire ou de la population. Il suffit d’observer ce qui se passe à Marseille ou en Seine- Saint-Denis : l’État de droit a disparu, remplacé par la loi des communautés et des gangs ; le travail et l’économie officielle ont été chassés par le chômage permanent, les transferts de l’État providence et l’activité souterraine. Il nous faut refaire notre nation qui se disloque. Il n’y a plus une France mais un puzzle dont les morceaux ne s’ajustent plus. On compte au moins quatre France : celle des exclus, qui rassemble 6 millions et demi de personnes et qui grossit chaque année du fait des 180.000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans savoir ni lire, ni écrire, ni compter ; la France protégée, qui vit, de plus en plus mal, de la manne de la dépense et de la dette publiques en passe de se tarir ; la France moderne en prise avec la mondialisation qui représente 18 % de la population ; enfin la France hors la France, avec la diaspora des 3 millions de nos concitoyens qui ont tenté leur chance hors des frontières. La même logique est à l’œuvre avec la polarisation des territoires : certaines métropoles prennent leur autonomie pour conduire des stratégies de développement propres, à l’image du Sud-Est qui se tourne vers la Suisse, l’Italie du Nord et l’Allemagne du Sud.
Est-ce un tableau inéluctable?
Non, rien n’est inéluctable. En cela, les Lettres béninoises sont optimistes. Comme 1984, le livre d’Orwell qui a contribué à désarmer la menace de Big Brother, j’espère créer un électrochoc pour interrompre le déclassement de notre pays. Le paradoxe, c’est que la France dispose de tous les atouts pour figurer parmi les gagnants du XXIe siècle : une démographie dynamique ; un immense réservoir de capital humain, financier et immatériel ; des pôles d’excellence privés et publics ; des infrastructures ; un patrimoine, une culture et une civilisation incomparables… Grâce à ces ressources fabuleuses, qui sont le privilège des grands pays développés, elle peut effectuer son retournement en deux ans et se redresser en cinq. Le Canada et la Suède l’ont fait dans les années 1990 ; l’Allemagne à partir de 2002, l’Espagne à partir de 2008. En revanche, si nous continuons à nier nos problèmes et à ne pas les traiter, la trajectoire de notre pays sera celle décrite dans les Lettres béninoises. Le déclin n’est pas fatal, mais le redressement non plus. Dans les années 1930, l’Argentine et la Tchécoslovaquie figuraient parmi les premières puissances économiques du monde ; après 1945, elles en ont été exclues et ne reviendront pas dans le peloton de tête. Notre avenir, en bien comme en mal, dépend de nous. La France peut rester l’homme malade d’une Europe qu’elle risque de détruire ou s’affirmer comme un acteur à part entière du XXIe siècle. C’est aux Français d’en décider.
«J’espère créer un électrochoc pour interrompre le déclassement de notre pays.»
Les Lettres béninoises sont-elles une condamnation de la politique de François Hollande?
Les Lettres béninoises s’inscrivent dans une perspective de long terme. Le décrochage de la France ne remonte pas à 2012. Il est vrai que le quinquennat de François Hollande a poussé aux extrêmes les tentations démagogiques qui dévastent notre pays depuis un quart de siècle. Mais l’urgence ne va pas à la recherche des responsabilités ; la priorité est de faire la vérité sur la situation du pays pour refaire une nation moderne en mobilisant l’énergie des citoyens.
François Hollande est empêtré dans des histoires de vie privée et de vie publique…
Les hommes publics sont, dans le monde entier, sous le regard des médias et des citoyens. François Hollande, qui a été élu en réaction à l’égocentrisme de Nicolas Sarkozy et au dérèglement sexuel de Dominique Strauss-Kahn, s’était présenté comme différent ; il se comporte à la tête de l’État comme leur enfant naturel, en ajoutant une dimension d’institutionnalisation du mensonge. Il est bien venu, dans la situation de crise existentielle que connaît notre pays, d’appeler les entreprises à un pacte de responsabilité. Mais pour que ce principe de responsabilité soit crédible, encore faut-il qu’il soit appliqué par tous, et avant tout par celui qui est censé diriger l’État et incarner la France.
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