Banques centrales : changement de philosophie
La semaine qui s’ouvre sera, pour les marchés financiers, dominée par la réunion de la Banque centrale européenne (BCE), les derniers indicateurs macroéconomiques confirmant l’extrême fragilité de la reprise et l’absence totale d’inflation (+0,7% sur un an en octobre) en zone euro, ce qui alimente des anticipations de baisse des taux. De leur côté, la Fed et la Banque du Japon ont décidé ces derniers jours de prolonger leur politique d’assouplissement quantitatif ou « quantitative easing » (QE) qui consiste à acheter massivement des actifs, obligations d’Etat et hypothécaires pour la Fed, obligations et actions pour la BOJ. « Le thème de la normalisation des politiques monétaires est un faux ami pour des raisons à la fois conjoncturelles et structurelles », juge Pascal Blanqué, directeur des investissements (CIO) chez Amundi, numéro un de la gestion d’actifs en France. Face aux risques déflationnistes, le Japon et l’Europe vont, selon lui, faire plutôt plus que moins de QE. La BCE ne procède pas à des achats massifs d’actifs mais elle peut baisser son taux principal, le refi (aujourd’hui à 0,5%) ou procéder comme à la fin 2011 à une opération de refinancement à long terme (LTRO à 3 ans), ajoute-t-il. Etienne Gorgeon, CIO chez Tikehau Investment Management, estime lui aussi que les banques centrales ne peuvent pas arrêter totalement le QE même si la Fed, bien que confrontée à une croissance sans emploi et sans inflation, peut être amenée à réduire ses rachats d’obligations (85 milliards de dollars par mois pour l’instant). Il explique que les montagnes de liquidités qui ont été déversées depuis cinq ans par les banques ont profité aux marchés financiers, notamment aux actifs risqués, actions et obligations d’entreprises, et non à l’économie réelle. Depuis le début 2009, rappelle-t-il, il y a eu 324 baisses de taux dans le monde, essentiellement dans les pays développés. La liquidité mondiale est passée dans le même temps de 12.600 milliards de dollars à 21.500 milliards, soit une hausse de 8.900 milliards, la capitalisation des marchés d’actions de 25.500 à 60.300 milliards de dollars (+34.800 milliards) et celle des marchés obligataires de 27.000 à 42.400 milliards (+15.400 milliards). Sur la même période, le PIB mondial nominal n’est passé que de 58.100 à 71.900 milliards de dollars, une croissance de 13.800 milliards sans commune mesure avec celle des actifs financiers. Au-delà des contraintes conjoncturelles, « le thème de la liquidité va continuer à dominer », dit Pascal Blanqué pour qui les banques centrales sont « en train de changer d’ADN ». « On est en train d’abandonner un modèle de Banque centrale du type Paul Volcker » (président de la Fed de 1979 à 1987) qui s’était fait le champion de la lutte contre l’inflation et du contrôle de la masse monétaire. »La nécessité a introduit une nouvelle pratique des banques centrales : le non-conventionnel », poursuit-il. « Il est clair qu’elles ont intégré le prix des actifs financiers dans leurs objectifs ». »On verra émerger une théorisation de ces pratiques. Le non-conventionnel qui dure devient du conventionnel », explique Pascal Blanqué.Selon lui, pour lire les politiques de la Fed ou de la BCE il faudrait savoir quels sont aujourd’hui leurs indicateurs clefs. »On est dans une mutation. Il y a un paradoxe de crédibilité : les marchés sont longs (acheteurs, ndlr) de banques centrales au moment où le cadre a perdu de sa lisibilité », souligne-t-il. »Je pense qu’elles vont assumer la présence du prix des actifs. Elles vont assumer le fait que les actifs sont pour elles un objectif et que les bulles existent, ce qu’Alan Greenspan (prédécesseur de Ben Bernanke à la tête de la Fed) niait ».Comme Etienne Gorgeon, il constate que depuis 2008-2010, certains segments de marché ne sont plus régis par les forces du marché. « La Fed est en train de nationaliser certains points de la courbe des taux américaine », dit Etienne Gorgeon qui précise que la banque centrale détient 70% des emprunts d’Etat de maturité 24 à 25 ans. Les deux CIO avancent un autre facteur qui milite en faveur du QE : l’ampleur de l’endettement public et une croissance trop faible. Les banques centrales chercheront donc à retrouver les canaux de transmission de la politique monétaire à l’économie réelle, et à créer de l’inflation.