La CPI menacée par des dirigeants africains
En mai, dans la foulée de la victoire à la présidentielle kényane de Uhuru Kenyatta et de son colistier William Ruto, poursuivis par la CPI pour crimes contre l’Humanité, les 54 membres de l’Union africaine (UA) avaient presque unanimement fait bloc derrière Nairobi pour dénoncer un acharnement du tribunal de La Haye contre le Kenya et l’Afrique en général. L’UA avait demandé l’abandon des charges contre les dirigeants kényans fraîchement élus, le Premier ministre éthiopien et président en exercice de l’UA, Hailemariam Desalegn, évoquant une « chasse raciale ». Seuls des Africains ont jusqu’ici été inculpés ou condamnés à La Haye. La CPI a malgré tout entamé le procès du vice-président Ruto le 10 septembre et refusé de reporter celui du président Kenyatta, prévu à partir du 12 novembre. Les deux hommes sont poursuivis pour leur rôle présumé dans les violences politico-ethniques qui avaient suivi la précédente présidentielle kényane de fin 2007, durant lesquelles plus de 1.000 personnes étaient mortes. Ces derniers jours, les voix se sont multipliées pour tenter de dissuader l’UA de revenir à la charge contre la Cour. Pour l’ex-secrétaire général de l’ONU, le Ghanéen Kofi Annan, l’Afrique porterait un « badge de la honte » si ses dirigeants votaient ce retrait collectif du Statut de Rome, fondateur de la CPI. « Nous pensons qu’un retrait de la CPI enverrait le mauvais signal sur les engagements de l’Afrique à protéger et promouvoir les droits de l’Homme et à rejeter l’impunité », ont renchéri un groupe de 130 organisations dans une lettre diffusée par Human Rights Watch. Après une réunion vendredi au niveau ministériel, un sommmet extraordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement se tiendra samedi au siège de l’organisation panafricaine à Addis Abeba. Plusieurs pays, Ouganda en tête, ont clairement pris position contre la CPI dans le dossier kényan. D’autres, comme le Rwanda, ont aussi appuyé la requête de Nairobi de déplacer en Afrique tout ou partie des deux procès. Malgré l’intense lobby exercé par le Kenya, un retrait collectif semble cependant improbable. L’UA n’a pas de mandat pour l’imposer et quelques pays, dont la Gambie – pays de la procureure de la CPI Fatou Bensouda – ou le Botswana, ont dans le passé publiquement soutenu la Cour. »Il est difficile de dire que l’ensemble des membres africains se retireront, mais il est possible que certains pays le fassent parce qu’ils sont fatigués de la situation », explique l’ambassadeur du Rwanda auprès de l’UA, Joseph Nsegimana. « La CPI est de plus en plus davantage un outil politique qu’une cour de justice ». Depuis sa création, la CPI a inculpé une trentaine de personnes pour des crimes survenus dans huit pays d’Afrique (République démocratique du Congo, Centrafrique, Ouganda, Soudan (Darfour), Kenya, Libye, Côte d’Ivoire, Mali). Les enquêtes ouvertes en RDC, Centrafrique, Mali et Ouganda l’ont été à la demande des quatre Etats concernés, parties au Statut de Rome. Les affaires concernant le Darfour et la Libye – non signataires – l’ont été à la demande du Conseil de sécurité de l’ONU, tandis que le procureur de la CPI s’est auto-saisi des dossiers kényan et ivoirien. »Je n’attends pas grand chose du sommet, à part un peu de soutien moral et d’expression de sympathie pour la position du gouvernement kényan », nuance Peter J. Pham, de l’Atlantic Council. L’expert reconnaît cependant que le refus de transférer ou de reporter les procès, en particulier après l’attaque sanglante du centre commercial Westgate de Nairobi par un commando islamiste fin septembre, n’a pas aidé à redorer l’image de la CPI auprès des citoyens africains. »En refusant toute sorte d’arrangement, même raisonnable », la CPI sape, selon lui, « elle-même sa légitimité politique ». Au total, 34 pays africains ont ratifié le Statut de Rome. Le Kenya serait le premier pays du monde à s’en retirer, s’il suivait la demande en ce sens votée récemment par son Parlement. Pour les analystes, tout retrait aurait des conséquences désastreuses pour les victimes africaines de crimes contre l’humanité ou crimes de guerre: leurs pays n’ont souvent ni les capacités, ni la volonté politique de lancer des poursuites. La CPI elle-même en pâtirait: « Cela nuirait au projet tout entier », estime Misa Zgonec, du centre de réflexion Chatham House.
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