Fraude fiscale : mode d’emploi

Fraude fiscale : mode d’emploi

 

(Interview le Figaro : Éric Vernier, Docteur en gestion et spécialiste du blanchiment d’argent)

 

Lefigaro.fr: Qu’est ce que le blanchiment de fraude fiscale?

Éric Vernier: La notion est complexe car il est difficile de comprendre quel est l’intérêt de ressortir de l’argent qu’on s’est évertué à cacher. La difficulté pour les fraudeurs n’est pas de frauder, ni de blanchir. Ce qui est le plus compliqué c’est de ne pas payer d’impôt en repassant l’argent dans le circuit légal. L’objectif du blanchiment de fraude fiscale est en fait de remettre dans le circuit de l’argent caché.

Quelles sont les techniques utilisées par les fraudeurs pour faire du blanchiment de fraude fiscale?

Il existe de nombreux moyens de blanchir. On peut par exemple acheter des biens immobiliers à l’étranger. Ou bien utiliser les marchés financiers avec des opérations symétriques. C’est un peu comme à la roulette au casino, avec un complice on mise à la fois sur le rouge et le noir et on récupère forcément la mise. Mais la plus courante est la technique du prêt adossé ou autofinancé. Imaginez une personne qui facture des honoraires auprès d’un client et qui dépose l’argent récupéré en règlement sur un compte en Suisse pour échapper au fisc français. Ceci constitue le délit de fraude initiale. Pour pouvoir utiliser ces sommes, le fraudeur va contracter un emprunt d’un montant équivalent à la somme déposée – moins les commissions et les intérêts – dans l’une des filiales de la banque suisse. L’établissement accorde ce prêt et se rembourse en piochant dans les sommes déposées sur le compte. Au final, le montant des honoraires est transformé en emprunt légal qui sert à acquérir de l’immobilier par exemple. C’est une technique très utilisée par les fraudeurs qu’il s’agisse de particuliers fortunés ou de la mafia russe. Elle permet de blanchir quelques dizaines de milliers d’euros comme une centaine de millions d’euros. Elle est très connue des juges et des policiers. Des partis politiques aussi, qui l’ont parfois utilisé autrefois.

 

S’agit-il de la technique qui aurait pu être utilisée selon les juges, dans le cas de Jérôme Cahuzac?

Il faut être très prudent. A priori les juges le soupçonnent d’abord d’avoir perçu des honoraires de la part de compagnies pharmaceutiques, ce qui pourrait déjà être un problème en soi, car à l’époque des faits Jérôme Cahuzac était adjoint de Claude Évin, ministre de la Santé. Mais ces faits sont prescrits aujourd’hui. Les questions concernent aussi un compte en Suisse où les honoraires auraient été déposés en cachette du fisc français, puis sur le transfert de ces fonds sur un autre compte à Singapour lorsque la Suisse, pointée du doigt, a légèrement levé son secret bancaire.

Que risque le fraudeur?

Les peines ont été alourdies. Un particulier risque aujourd’hui 375.000 euros d’amende et jusqu’à 5 ans de prison. La peine peut être doublée en cas de fraude aggravée. Dans le cas de Jérôme Cahuzac, sa fonction de ministre pourrait être un cas d’aggravation si les faits sont prouvés. Lorsque le fraudeur est une personne morale, une entreprise, l’amende atteint 1,875 million d’euros et la moitié des avoirs concernés peuvent être saisis. Mais il faut savoir que le plus souvent, les fonds sont tellement bien dissimulés, par des montages financiers complexes, que rien n’est récupéré. Franklin Jurado, qui a blanchi l’argent de la drogue colombienne du Cartel de Cali dans les années 1980, a récupérés ses 4,5 millions d’euros et les intérêts, à sa sortie de prison.

Vous dites pourtant que les techniques de blanchiment de fraudes fiscales sont très connues des juges et des policiers. Comment expliquez-vous qu’il n’y ait pas davantage de poursuite?

Plusieurs professions comme les avocats, les experts comptables, les casinotiers… sont tenues d’alerter le ministère des Finances, et notamment sa cellule Tracfin en cas de soupçons de fraude fiscale. Chaque année, 24.000 déclarations sont adressées à la cellule. La moitié environ est étudiée, et au final 400 dossiers sont transmis aux procureurs. Selon les dernières statistiques connues, il n’y a eu en 2011 que deux décisions de justice où la qualification de blanchiment de fraude fiscale a été retenue. Les juges ne se sont pas encore familiers de ce type de délit. Le plus souvent d’ailleurs, les fraudeurs sont poursuivis sur leur crime initial, c’est-à-dire les pratiques qui ont permis de dissimuler les fonds à l’origine dans un paradis fiscal. Le problème est que les personnes qui fraudent sont aussi présentes dans le monde légal. Les emprunts contractés pour blanchir de l’argent, portent sur des montants totalement justifiables au regard de l’activité ou du patrimoine du particulier ou de la société. Il est difficile de déceler qu’il s’agit d’un prêt autofinancer.

 

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