La crise des élites
Michel Serres a l’habitude de dire qu’i ne s’agit pas seulement d’une crise mais d’un changement de monde ; les mutations affectent en effet la sphère économique et sociale, mais aussi politique, sociétale et culturelle. Affaires politiques, salaires des grands patrons, chômage, discrédit des responsables, financiarisation excessive de l’économie, accroissement des inégalités, corporatisme des élites autant d’éléments qui démontrent l’ampleur des mutations qui nous affectent ; le pouvoir (et la plupart des experts qui le conseillent) est en réalité perdu ; pas simplement en France, en Europe aussi et ailleurs. La crise des élites est sans doute la plus grave car elle laisse la porte ouverte à tous les nationalismes, corporatismes et extrémismes. Certes il ne s’agit pas de faire de l’angélisme face à la mondialisation pour autant un repli total sur le sol territoire conduirait inévitablement au déclin. Aujourd’hui pour schématiser on est face à deux doctrines : soit le libre échange sans contrainte ou presque, soit l’étatisation ; en gros dans la pratique, les partis de gouvernement se retrouvent dans la première doctrine et les partis protestataires dans la seconde. Deux doctrines qui conduisent dans le mur. Les experts eux-mêmes sont pour la plupart aussi perdus (ou alors complices car beaucoup sont rémunérés par les gouvernements auxquels ils ne veulent pas déplaire) ; ils ont prôné l’austérité et s’aperçoivent maintenant que le rythme de rétablissement des comptes publics nous condamne à la stagnation voire à la récession pour longtemps. Si la rigueur est nécessaire -et de ce point de vue l’endettement était aussi une fuite en avant-, elle ne peut se traduire par une austérité brutale qui tue la croissance et la consommation. De ce point de vue, le pacte budgétaire dans les délais prévus est une folie. Un étalement du rééquilibrage est donc indispensable ; ce qui est en cause aujourd’hui c’est la crédibilité de la parole des élites, sa pertinence, sa légitimité. A cet égard les affaires (politiques ou financières) portent un rude coup à cette légitimité. Comment accorder du crédit à un discours qui prône la rigueur quand ceux qui gouvernent se mettent à labri de l’effort demandé ou même transgressent les règles imposés au reste de la population. Une crise de légitimité qui se double d’une crise de compétence car aujourd’hui aucun parti, aucune organisation nationale n’est en capacité de définir une stratégie de redressement à la fois crédible et équitable. La parole des élites notamment politiques n’est plus audible et le verbiage qui tente vainement de combler le vide discrédite le concept même d’élite ou d’expertise.
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