SNCF : virage stratégique ou disparition progressive ?
Avec le nouveau mandat de Guillaume Pepy, c’est peut-être l’occasion de sauver une entreprise plombée par la dette du ferroviaire et ses lourdeurs. Le contexte économique général va contraindre la SNCF à opérer de grandes mutations dans un marché ferroviaire qui sera désormais entièrement libéralisé. Le bilan de Guillaume Pepy est loin d’être négatif ; peut-être le président a-t-il surtout réussi à calmer le climat social en efforçant d’associer les partenaires. Il a aussi répondu à la demande de démocratisation du TGV avec le projet Ouigo. (TGV low cost). Par contre, la SNCF doit encore faire de nombreux efforts pour mieux maitriser ses coûts, redresser une activité fret qui s’écroule, moderniser les dessertes urbaines (surtout en région parisienne) et se développer davantage à l’international. Les cinq ans qui viennent risquent d’être déterminants pour l’avenir de l’entreprise.
Un contexte économique global qui a changé
Premier élément à prendre en compte : la modification durable du contexte économique et financier. La France, comme beaucoup de pays en Europe, est condamnée pour longtemps à la rigueur afin de réduire son endettement. Certes les objectifs initialement prévus ne seront pas tenu dans les temps (objectif 3% de déficit en 2013 et équilibre en 2017) ; il conviendra sans doute de les décaler d’au moins 5 ans. Ceci étant, sur le long terme, il y aura quand même une baisse tendancielle des déséquilibres. Une situation qui va contraindre de réduire de manière substantielle les dépenses publiques (donc y compris de diminuer les contributions type SNCF). Le moment venu, l’Europe va constater que l’austérité caractérisée par une augmentation de la fiscalité tue la croissance. Baisse de croissance qui affecte les rentrées fiscales ; bref, le cercle vicieux alors que d’autres grandes zones économiques (Japon, Chine, Etats-Unis) ont choisi des politiques monétaires beaucoup plus accommandantes. La complexité du fonctionnement politique européen produira une prise de conscience tardive de cette problématique. Mais encore une fois, sur le long terme, le poids des prélèvements obligatoires va montrer ses limites et il n’y aura d’autres solutions de que de réduire le poids de la pression fiscale et en même temps les dépenses publiques.
Contribuer à remettre à plat la politique des transports
Il y a aujourd’hui une grande contradiction entre les objectifs environnementaux affichés et la politique réelle des transports en Europe. D’un coté, on fait semblant de souhaiter la préservation de la qualité de vie, de maîtriser les dépenses d’énergie et de l’autre on favorise la libéralisation qui a pour seul objectif de développer une mobilité à bas coût. Une politique qui a pour conséquence directe de tuer progressivement le pavillon français. Cette politique contradictoire n’est pas tenable ; le transport n’est pas à son coût réel et il est grandement responsable d’une internationalisation anarchique des échanges. Dernier exemple en date : le scandale de la viande hachée ( plus exactement le « minerai de viande ») qui peut parcourir 4500 kms en dépit d’une valeur ajoutée relativement faible. Autre exemple, le coût d’un container de Hong Kong à Amsterdam au même prix que le transport par camion entre Paris et Marseille. Dans cette course aux bas prix, le rail est forcément désavantagé compte tenu de la structure et du niveau de ses coûts fixes surtout en ce qui concerne le fret. Ceci ne devant pas dissimuler par ailleurs les lourdeurs de l’entreprise. A cet égard le très libéral commissaire européen chargé des transports aura fortement accru les contradictions de la politique des transports. Certes, on ne saurait contingenter la mobilité qui a toujours contribué positivement aux échanges de biens, de personnes et même des idées mais le bas coût de cette mobilité a largement participé à un développement anarchique de l’économie mondiale
L’apurement de la dette
La France comme souvent n’a réalisé qu’une partie de la réforme visant à séparer la gestion des infrastructures de l’exploitation. En fait, pour schématiser, on a transféré une grande partie de la dette sur RFF sans prendre les moyens de l’amortir. Au contraire des allemands qui ont remis les pendules à zéro puisque l’Etat a repris totalement la dette du fer avant la réforme de la DB. Finalement une réforme française qui n’a servi à rien sinon qu’à l’alourdir les structures. RFF réintégré dans l’organisation ferroviaire, on revient donc en arrière. C’est sans doute plus cohérent mais il faudra faire la démonstration que cela améliore globalement les coûts et l’endettement. La SNCF a pour cela besoin de stabilité dans les objectifs et de durée. Si l’Etat ne veut pas remettre les compteurs à zéro (ce qui parait peu vraisemblable compte tenu de la situation de l’endettement qui va nettement dépasser les 90% du PIB en 2013) et compte tenu d’autre part d’une probable remontée des taux d’intérêts ; il est clair qu’il faut alors envisager un plan d’apurement sur au moins 20 ans supporté conjointement par une ressource publique affectée et par la SNCF. Aujourd’hui cet endettement nuit non seulement aux capacités d’investissement et d’entretien mais décourage tout effort de compétitivité. La SNCF devrait prendre l’initiative de ce plan d’amortissement de la dette car les responsables politiques, comme habitude, ont tendance à reporter à plus tard cet enjeu fondamental ; en effet le calendrier politique correspond rarement au calendrier de l’économie réelle. Dans ce cadre, il faudra reconsidérer le mode de financement des infrastructures. Le fer est le seul mode à financer ce type d’équipements quand les autres payent seulement une taxe d’usage ; En attendant une réforme de fond sur ce sujet, il sera nécessaire de diversifier les modalités de financement pour les infrastructures comme pour le matériel via en particulier le Partenariat Public, Privé, le crédit bail ou les différentes formes de location ( comme dans l’aérien par exemple où une grande partie de la flotte est louée).
Moderniser les transports du quotidien
Pour la province de très gros efforts ont été réalisés, le point noir c’est la région parisienne qui représente plus de 65% de ce type de déplacements. Le réseau parisien est saturé, mal entretenu et de médiocre qualité. Des efforts considérables seront à entreprendre pour améliorer cette qualité, des efforts financiers sont à consentir, des efforts partagés (sans doute entre les autorités organisatrices, les transporteurs et les clients). Le transport urbain est en effet un enjeu central d’autant que la hausse du carburant (et la désertification économique des zones rurales) pousse à la concentration des populations dans les zones déjà denses. Il s’agit d’un enjeu économique, social et environnemental. L’autre solution, c’est la congestion de la circulation automobile déjà largement en cours sur beaucoup d’axes en région parisienne. D’un certain point de vue, cette régulation par la congestion incite les usagers à se reporter sur les transports collectifs, encore faudrait qu’ils soient quantitativement et qualitativement suffisants. L’amélioration de cette mobilité est d’autant plus stratégique que nombre de salariés seront (ou sont déjà) contraints avec la crise de se reconvertir dans des emplois plus éloignés de leur domicile.
Créer un grand pôle international
La SNCF est déjà impliquée dans le champ international où elle réalise 20% de son chiffre d’affaires mais c’est évidemment insuffisant pour en faire une entreprise internationale à l’image d’anciennes entreprises nationalisées qui sont devenues des acteurs mondiaux majeurs dans leur secteur respectif. ; Air-France, EDF, Orange, GDF ont montré la voie. Pour Air France, produit d’abord de trois compagnies françaises ‘ Air France, Air- Inter et UTA, le champ international n’était pas inconnu, en tout cas surtout pour l’ancienne Air France. Mais l’entreprise s’est considérablement affirmé au plan mondial à la fois par sa croissance interne mais aussi par sa croissance externe en particulier avec la fusion Air France KLM. D’autres opérateurs rejoindront ce groupe sous différentes formes juridiques, on pense par exemple à Air Italia mais à d’autres ; de la même manière des nouveaux renforcements de synergie sont probables avec des acteurs américains. Autre exemple, Orange, qui ne ressemble plus à l’ancienne PTT pour le pôle télécoms. Une mutation réussie qui doit aussi tenir de la sociologie des France télécoms constitués de nombreux techniciens. Edf est aussi largement sorti des frontières et souvent en collaboration avec AREVA devient aussi un opérateur incontournable au plan mondial.
Devenir une entreprise internationale ou disparaître
La période qui s’annonce va sans doute connaitre des soubresauts sur le plan de la politique européenne mais sur le moyen et long terme l’ouverture des marchés ne sera pas remise en cause. Pour le fer, la libéralisation dans le domaine voyageurs va progressivement s’installer ; le champ national où opère actuellement la SNCF sera mis en concurrence ( pas seulement pour la grande vitesse mais aussi sur les autres créneaux de marchés) ; pour compenser et même bien au-delà, la SNCF, avec son savoir faire , devra être candidate à l’exploitation de lignes à l’étranger ; à long terme il n’y aura plus de place pour le vieux schéma d’ une société ferroviaire nationale par pays en situation de monopole( voir encore a cet égard les exemples de l’énergie ou des télécoms). Comme dans l’aérien toujours à long terme, ne resteront que quelques opérateurs en Europe, ceux qui auront ancipité les évolutions, adapté leur structure, moderniser leur gestion. Aucun secteur d’activité de la SNCF ne sera désormais à l’abri de la concurrence internationale ; autant prendre les devants et affirmer clairement ce projet de dimension internationale. En Europe bien sûr mais aussi au-delà grâce aussi au savoir faire de l’ingénierie ferroviaire française. Ratatinée dans ses frontières nationales, la SNCF risque un jour de disparaitre. Elle a besoin de l’international pour se confronter aux autres acteurs ; deux hypothèses, où elle attend la concurrence qui viendra la bousculer dans son pré carré ou elle prend les devants et se positionne pour conquérir les marchés à l’étranger.
Repenser la stratégie fret
Sur la tendance le fret ferroviaire est appelé ne plus exister dans les dix ans surtout en raison de son manque de compétitivité. La baisse du fret, c’est la plus grande contradiction de la politique des transports. Des grandes déclarations partout depuis 30 ans (les dernières au Grenelle de l’environnement) mais en réalité un trafic ferroviaire qui s’écroule. La faute à la SNCF mais surtout à cette politique ultralibérale qui favorise les pavillons routiers à bas coûts. La SNCF ne peut agir seule pour modifier la philosophie suicidaire de l’Europe ; elle doit trouver des partenaires dans les réseaux ferroviaires européens mais aussi chez les opérateurs routiers qui souffrent out autant de cette politique du low cost généralisé. En d’autres termes, il faudrait imposer que la libéralisation ne puisse progresser qu’avec l’harmonisation des conditions de concurrence (au plan économique, fiscal, social, et environnemental). La SNCF de ce point de vue peut s’appuyer sur son propre groupe routier mais encore faudrait il que ne coexiste pas au sien même de l’entreprise deux philosophies opposées dans ce domaine. On peut aussi imaginer des règles de régulation qui ne passent pas uniquement par l’imputation des coûts mais aussi des règles plus contraignantes en particulier sur le transit ou pour certaines marchandises dangereuses.
Un virage stratégique dans l’organisation
Au plan organisationnel, de la gestion et du commercial, la SNCF doit faire sa révolution La pensée dominante actuellement en France (et surtout en Europe) c’est que la SNCF doit éclater sous l’effet de la concurrence ; à terme en fait quelques lignes TGV, la desserte parisienne avec 50 000 cheminots voire moins. L’organisation encore trop parcellisée a sans doute vécu, elle ne permet pas de rationaliser le système. Et surtout de réaliser les gains nécessaires en matière de compétitivité. Une organisation nouvelle est nécessaire mais pas une organisation figée. Les organigrammes ne sont que des outils, ils doivent évoluer comme évoluent l’environnement économique et les marchés. Il faut évidemment influer sur la politique des transports mais il faut tout autant s’adapter en permanence en interne. Un ancien président de Calberson à l’origine du succès de Géodis disait « un organigramme « c’est beau sur le papier mais c’est piège à con car il fige les situations, il en faut un, bien entendu, mais il faut en permanence le faire évoluer sinon les superstructures neutralisent tout effort de modernisation ». Avec le nouveau mandat de Guillaume Pepy, c’est d’une révolution culturelle dont a besoin l’entreprise, avec un projet d’entreprise, un contrat durable avec les pouvoirs publics, un contrat social avec les partenaires ; contrats appuyés sur la volonté de faire de la vieille SNCF un acteur international majeur en Europe et au-delà. ( article à paraitre dans « le Rail »).
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