Renault : le handicap du coût du travail
Le Mondial de l’automobile ouvre ce jeudi ses portes aux professionnels. Carlos Ghosn, le PDG de Renault, revient sur sa stratégie en pleine crise automobile en Europe ( Le Figaro).
LE FIGARO. – La situation du marché automobile européen continue-t-elle à se dégrader?
Carlos GHOSN. - Le marché européen est vraiment très mauvais. Il devrait chuter d’environ 8% en 2012, alors que nous prévoyions une chute de 3% en début d’année, et de 6 à 7% en juillet. Malheureusement, nous ne voyons pas d’amélioration l’an prochain: le marché sera au mieux stable ou, plus probablement, légèrement en baisse.
Dans ce contexte extrêmement déprimé, pouvez-vous éviter des suppressions d’emplois ou une fermeture d’usine en France?
Nous nous adaptons actuellement avec de nombreuses journées non travaillées, du chômage partiel, des arrêts de production, un plan de réductions de coûts… Mais face à une situation qui risque de se prolonger, nous ne pouvons pas tenir le coup avec des mesures conjoncturelles. Nous devons nous organiser pour gérer le groupe dans la durée, en menant des actions structurantes. Chaque constructeur a son problème. Pour certains, la réponse passe par des suppressions d’emplois (de cols bleus ou de cols blancs) ou des fermetures de sites. Notre problème n’est pas tellement lié aux surcapacités de production. Aujourd’hui, le principal sujet de Renault, notre urgence même, c’est notre compétitivité en France. Car il faut bien comprendre que la France, c’est la culture, l’histoire, l’ADN de notre groupe. L’amélioration de la compétitivité de la France est un sujet de survie pour Renault. Aucun constructeur n’échappera au renforcement de sa compétitivité dans son pays d’origine.
Comment comptez-vous restaurer la compétitivité de Renault en France?
Renault ne peut pas traiter tout seul le problème de la compétitivité de la France. Ce que le gouvernement a déclaré ces dernières semaines dans ce domaine me semble aller dans le bon sens. Mais nous attendons maintenant des choix et un plan d’action. Les problèmes auxquels nous sommes confrontés sont connus. Nous avons un problème de coût du travail et nous avons besoin de flexibiliser le travail, notamment dans l’industrie: nous ne pouvons plus continuer comme cela.
En plus des mesures générales, dont je n’ai aucun doute qu’elles seront prises en France dans les mois qui viennent, nous devons aussi traiter ce sujet en interne d’ici à la fin de l’année, en concertation avec les partenaires sociaux mais sans complaisance, pour gagner en compétitivité. Bien sûr, c’est du donnant-donnant. Au regard des efforts qui seront faits, nous devons nous engager en matière de charge de travail. Mais il n’y a aucun doute: la conservation de l’emploi est liée à la compétitivité.
Pouvez-vous vous engager sur le maintien de l’emploi?
Vous ne pouvez pas vous engager à préserver à tout prix des emplois, si cela met en péril l’entreprise. Je suis responsable de Renault, d’une histoire. Je ne peux pas accepter que cette histoire soit menacée si des décisions ne sont pas prises. Mais, encore une fois, aujourd’hui, notre problème majeur, c’est la compétitivité.
PSA, votre concurrent français, est en grande difficulté, avez-vous le temps d’attendre les décisions du gouvernement?
Aujourd’hui, Renault est profitable, en grande partie grâce à notre alliance avec Nissan, mais aussi grâce au low-cost et à l’internationalisation du groupe. Mais au-delà de cette donnée, notre free cash flow (flux de trésorerie, NDLR), qui dépend de Renault, est positif. Je réaffirme qu’il sera positif sur l’année 2012. Notre situation financière n’est pas préoccupante, mais je ne peux cependant pas affirmer qu’elle est satisfaisante, quand j’observe les profits dégagés par certains concurrents. Étant donné la dégradation des marchés européens, qui représentent 50% de nos volumes, notre prévision d’augmenter nos ventes mondiales cette année est en revanche fortement sous pression.
La crise remet-elle en cause votre plan stratégique à horizon 2016?
Non. Mais on ne peut pas ignorer le fait que l’environnement est loin d’être favorable.
Comment un constructeur européen milieu de gamme peut-il s’en sortir?
Il doit d’abord s’assurer qu’il participe à la croissance des marchés émergents, c’est crucial. C’est le cas de Renault, en particulier en Russie et au Brésil. Mais, parallèlement, il faut aussi avoir une offre forte en Europe. C’est-à-dire compétitive, mais pas seulement. Les deux segments de marché qui tiennent sont le haut de gamme et le low-cost. Aujourd’hui, il existe des constructeurs bien placés sur l’un ou l’autre de ces créneaux. Celui qui arrivera à être présent sur les deux sera gagnant.
Renault, déjà présent sur le low-cost, doit donc s’imposer dans le haut de gamme?
Sur le long terme, c’est indiscutable: en Europe, 50% des profits du secteur sont aujourd’hui réalisés par l’offre premium. Qui pourrait ignorer cette manne potentielle? Nous avons d’ailleurs une offre qui arrive, à partir de 2014, avec la nouvelle Espace, la remplaçante de la Laguna et de la Vel Satis, et un crossover. Il ne faut pas non plus oublier l’électrique, qui va devenir de plus en plus important, même si le démarrage est freiné par le manque d’infrastructures de recharge.
Allez-vous relancer la marque de sport Alpine?
Nous devrions faire une annonce officielle bientôt. Mais je dirais que ce serait la cerise sur le gâteau. À l’heure actuelle, le véritable enjeu économique de l’entreprise, c’est la réussite des modèles d’entrée et de milieu de gamme, qui font des volumes importants et qui s’adressent à une population mondiale. C’est-à-dire la Clio VI, la ZOE, et les nouvelles Logan et Sandero, que vous découvrirez au Mondial de Paris.
Les négociations pour une implantation en Chine sont en cours. Renault peut-il réussir aussi bien que Nissan dans ce pays?
J’espère pouvoir bientôt annoncer l’implantation de Renault en Chine. Ce marché va être un formidable accélérateur de croissance. Et ce d’autant que Renault va bénéficier de l’expérience de Nissan en matière de fournisseurs, de plates-formes communes déjà installées, de ressources d’ingénierie. Nous arriverons avec une gamme complète (comprenant notamment une offre de crossovers et de 4 × 4), pas uniquement avec des dérivés de la Logan.
Les négociations pour implanter une usine en Algérie vont-elles aboutir?
Nous sommes numéro un des ventes en Algérie. Nous ne pouvons pas ignorer le souhait du gouvernement algérien de se doter d’une usine qui alimenterait le marché local et éventuellement des marchés hors d’Europe. On n’a pas le choix, on le fera. S’il y a une usine en Algérie, nous ferons tout pour qu’elle soit Renault.
Renault pourrait-il survivre actuellement sans Nissan?
Une chose est certaine: ni Renault ni Nissan n’auraient survécu sans l’alliance, c’est aussi simple que cela. Et l’alliance continuera à les sauver l’un et l’autre.
0 Réponses à “Renault : le handicap du coût du travail”