Pourquoi la rupture avec les syndicats ?
Des syndicats de salariés faibles, des syndicats patronaux qui ne valent pas mieux ((le MEDEF représente surtout des entreprises type CAC 40), il ne faut pas s’étonner des blocages et des corporatismes dans notre société. S’y ajoute la rupture entre les syndicats et le pouvoir politique. Témoin cette mascarade de concertation sur l’emploi et la crise, le fameux sommet social de Sarkosy . C’est la grande différence avec l’Allemagne qui sait limiter l’intervention étatique sur les questions économiques et sociales qui concernent en premier les syndicats. Il ne faut donc pas s’étonner de la faiblesse de nos syndicats (de salariés ou patronaux) puisqu’il n’y a pas d’objet de négociation sauf à la marge. Du coup, le champ idéologique est privilégié par rapport au champ technique et nos responsables syndicaux ne connaissent pas grand-chose aux questions qu’ils traitent. Chérèque donne son point de vue.
Vous rencontrez aujourd’hui Jean-Luc Mélenchon, après avoir vu François Bayrou, François Hollande et Eva Joly. Quid de Nicolas Sarkozy ?
Je n’ai pas de réponse. J’ai demandé à rencontrer tous les candidats issus de partis de gouvernement, afin d’exprimer les priorités de notre syndicat dans une démarche normale de dialogue, mais le chef de l’Etat ne m’a pas proposé de rendez-vous, contrairement à 2007. On ne m’a pas donné d’explication. J’avais souhaité que ces rencontres se tiennent avant le début du mois d’avril afin de ne pas interférer avec la fin de la campagne électorale. Mais peut-être cette interview va-t-elle accélérer les choses…
Comment l’interprétez-vous ?
Nicolas Sarkozy a lancé sa campagne en souhaitant s’adresser directement au peuple, par-delà les corps intermédiaires qui font, selon lui, de l’entre-soi. Sans doute ne veut-il pas rencontrer un représentant de ce qu’il nomme une « caste » ! J’ai constaté une vraie rupture avec les organisations syndicales au moment de la réforme des retraites. C’est potentiellement inquiétant pour l’organisation de notre démocratie ces prochaines années. La démarche du dialogue social avait pourtant été respectée, valorisée et même glorifiée dans certains écrits par le chef de l’Etat.
Le candidat UMP s’en est pris vivement à la CGT cette semaine, qui elle-même s’est engagée fortement contre lui dans la campagne…
Je ne veux pas juger la démarche d’un autre syndicat, mais la partie de ping-pong qui se joue n’est pas positive pour la démocratie sociale. La CFDT n’a pas voulu tomber dans le piège d’une démarche partisane. La dernière fois que nous avons soutenu un candidat, c’était en 1981 et nous avons perdu 40 % de nos adhérents dans les années qui ont suivi. On voit bien que le candidat UMP veut montrer que les syndicats seraient contre lui parce qu’ils seraient partisans et non pour des raisons de fond sur sa politique. En refusant l’engagement partisan, la CFDT est plus crédible, ses arguments et ses critiques sur la politique menée portent davantage.
Trouvez-vous la campagne électorale décevante ?
Elle est très compliquée à mener et je ne voudrais pas jouer les censeurs depuis le bord de la touche, ce serait un peu facile. La France connaît la situation économique, sociale et budgétaire la plus difficile depuis le début de la V e République. Les candidats, s’ils veulent être sérieux, ne peuvent pas promettre la lune. Forcément, cela ne rend pas la campagne très enthousiasmante. Mais au moins, on débat de la dette, sujet sur lequel la CFDT a prêché dans le désert pendant des années. Dès le sommet social de février 2009, nous avions dit au gouvernement qu’il fallait revoir la fiscalité des hauts revenus pour financer les mesures. Après, j’observe plusieurs façons de faire face à ce contexte difficile.
C’est-à-dire ?
Certains candidats préfèrent parler d’autres choses en mettant le focus sur les sujets qui ne sont pas prioritaires pour les Français, comme la sécurité ou l’immigration. D’autres « picorent » autour des vrais sujets tels que la fiscalité, l’emploi, la compétitivité ou la protection sociale. Ils font des propositions intéressantes - je pense en particulier à François Hollande sur la progressivité de l’impôt -mais sans parvenir à les lier dans un projet global redonnant de l’espoir. Il y a enfin ceux qui restent dans les propositions démagogiques. Soit ils savent qu’ils ne seront pas élus, soit ils ne les mettront pas en oeuvre.
Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon sont assez haut dans les sondages…
Je refuse de les mettre dans la même catégorie. Marine Le Pen est plus que jamais dans le registre de l’exclusion, de la stigmatisation. La campagne de Jean-Luc Mélenchon s’appuie sur un sentiment d’injustice très fort, qui s’est développé fort logiquement ces dernières années et qui va encore se nourrir des rémunérations astronomiques, telle celle du président de Publicis. Mais ses propositions économiques manquent de réalisme, et cela va générer des désillusions.
Comment agir en étant crédible ?
Nous interpellons les candidats pour qu’ils construisent une France plus juste, qu’ils s’attaquent aux inégalités. Cela passe par une réforme fiscale et une évolution de notre protection sociale qui garantisse, dans un souci de justice, la pérennité de notre modèle social. Avec une remise à plat avancée à 2012 du système de retraite. Cela passe ensuite par une action résolue visant à rendre la France plus compétitive, en intégrant la nécessité du développement durable.
Comment restaurer cette compétitivité ?
En arrêtant d’abord de n’aborder le problème que sous l’angle du coût du travail. C’est loin d’être le coeur du problème. Regardez le secteur automobile allemand : il est très performant alors que les salaires y sont bien plus élevés qu’en France. Mais eux ont su investir massivement et se donner plus de souplesse dans l’organisation du travail. La compétitivité hors prix est centrale. Quant aux problèmes de compétitivité-coût, ils nécessitent une meilleure coordination des politiques européennes. Dans l’agroalimentaire, l’Allemagne fait du dumping social contre la France ! Elle autorise des salaires de 5 euros de l’heure que l’Etat compense ensuite avec des primes pour l’emploi. On ne peut pas continuer à accepter sans broncher cette concurrence déloyale. Je l’ai dit à Angela Merkel, que j’ai rencontrée la semaine dernière avec d’autres syndicats européens. La responsabilité politique est au niveau du couple franco-allemand.
Vous évoquez plus de souplesse dans l’organisation du travail comme une vertu allemande. Vous êtes donc favorable aux accords compétitivité emploi en cours de négociation ?
Evidemment, pas question pour la CFDT de supprimer les 35 heures ! De tels accords doivent s’inscrire dans une démarche globale, avec un droit de regard renforcé des syndicats sur la stratégie des entreprises, et un meilleur partage des bénéfices de la croissance quand elle revient. Je suis prêt à prendre le modèle social à l’allemande dans l’entreprise. On en est loin avec les propositions du Medef. Je ne vois pas comment on pourrait parvenir à un accord avant la fin du premier semestre.
Face au chômage de masse, les propositions sur l’emploi sont-elles à la hauteur ?
Elles sont classiques mais nécessaires. Nous ne pouvons pas nous passer en période de crise d’un traitement social massif du chômage. Je note que le gouvernement critique les contrats aidés du PS alors qu’il dépense actuellement tout ce qui avait été budgété pour l’année, afin de contenir le chômage avant le scrutin.
Le déficit de l’Unedic est très élevé. Faut-il rendre les allocations-chômage dégressives ?
On étudiera toutes les pistes lors de la prochaine renégociation de la convention d’assurance-chômage. Je note que 25 % de ce déficit provient des intermittents du spectacle, qui ne représentent que 4 % des cotisants. La future majorité devra prendre ses responsabilités sur ce sujet. Il ne faut pas casser le système. Mais ce n’est pas aux salariés du privé de le financer seuls. Cela doit être du ressort de la solidarité nationale.
Quels sont les sujets trop absents du débat ?
La réorganisation du système de soins, entre la médecine de ville et l’hôpital, n’est pas abordée, notamment parce que les candidats ont peur de s’attaquer aux professions médicales, les plus corporatistes. Les propositions sur le logement et les banlieues sont faibles.